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ANDRÉ ARMANDY - « Terre de Suspicion » (1926)



André Armandy fut un de nos plus grands romanciers d'aventures exotiques; Sa carrière s'étale sur plus de trente ans, de 1922 à 1954. Armandy est pourtant venu relativement tard en littérature, à 40 ans seulement, après avoir vécu une carrière militaire dans la légion étrangère, au sujet de laquelle il est toujours resté discret, mais qui a nourri indirectement son inspiration. Ses livres peuvent être divisés en deux catégories bien distinctes : les romans pour adultes, souvent basés sur des amours tourmentées et charnelles en terres coloniales, et des romans plus volontiers destinés à la jeunesse, nettement moins sombres mais qui néanmoins ne manquent pas d'une certaine originalité. « Terre de Suspicion » appartient à cette deuxième catégorie. C'est un roman indéniablement léger mais à la thématique originale, puisque c'est un des rares récits d'aventures français qui se déroulent en Afghanistan, et dans une région particulièrement déserte et hostile, au milieu des montagnes. Au début de ce roman, André Armandy se met lui-même en scène par le biais d'une communication à la T.S.F. Il y annonce avoir été sollicité pour écrire une histoire conçue pour être lue à la radio, tout en étant publiée, en parallèle, dans la célèbre revue "Lecture Pour Tous". Il est difficile de se prononcer sur la réalité de cette mise en abyme, bien qu'elle soit peut-être un ajout à cette première édition en volume par rapport à la publication en feuilleton. Ce qui est certain en tout cas, à défaut de disposer des archives radiophoniques de cette lointaine époque, c'est que ce roman a bien commencé par être publié dans "Lectures Pour Tous". Suite à cette introduction présentée comme un discours radiophonique, André Armandy commence à réfléchir, avec angoisse, à l'intrigue qu'il va écrire, lorsqu'il croise dans la rue un vieil ami qui revient juste d'Afghanistan. Bien qu'il ne souhaite pas s'étendre sur ses aventures, Norbert accepte néanmoins d'aller boire un verre chez André, qui n'a évidemment de cesse de le saouler pour le faire parler. Au final, son ami Norbert lui conte son histoire. Norbert Cancelier est le fils d'un ingénieur aéronautique suffisamment fortuné pour investir dans des prototypes d'un genre nouveau. Il a mis au point le "Vortex", un avion supersonique, destiné à pouvoir faire le tour du monde en un temps record. Mais le premier appareil a mystérieusement disparu il y a quelques semaines dans les montagnes afghanes, avec son équipage entier. Un deuxième appareil a été fabriqué afin de voler au secours du premier. Norbert en prend le commandement, avec son ami Bernard. Les deux hommes s'envolent en direction de l'Afghanistan, mais au cours du voyage, alors qu'ils ont fait la plus grande partie du trajet, ils découvrent que l'avion a embarqué une passagère clandestine : Tigrane, la célèbre femme grand-reporter, s'est engouffrée dans cet avion, afin de faire un reportage sur une opération secrète dont elle pense le but plus important qu'il n'est réellement. Cette garçonne au franc-parler entend bien arracher un scoop exclusif, et est prête à risquer sa vie pour cela. Quelques mots sur cette Tigrane qui est inspirée d'un personnage réel : Titaÿna, pseudonyme d'Elisabeth Sauvy, la première femme grand-reporter qui connut un estimable succès dans les années 1920-30. Titaÿna venait de sortir son second livre, « La Bête Cabrée », peu de temps avant qu'Armandy n'écrive ce récit. Il est probable que cette créature nouvelle, féministe, garçonne mais bourlingueuse, a fait doucement rêver André Armandy. Toutefois, Tigrane est dans ce roman ce que l'on peut appeler un pétard mouillé. Soit par la volonté de l'auteur, soit par celle de son éditeur qui peut-être s'offensa de cette publicité gratuite à une concurrente, toujours est-il que la garçonne au franc-parler se transforme progressivement en une petite chose fragile et craintive dès que les balles se mettent à voler, et jusqu'à la fin du roman, elle n'est rien de plus que l'archétype de la "fiancée-de-héros" qu'il faut aller sauver des brutes qui l'ont enlevée ou qu'il faut porter à bout de bras lorsqu'elle s'évanouit pendant une longue marche sous un soleil brûlant, au milieu d'une tempête de sable. On ne peut que regretter qu'Armandy se soit plus ou moins débarrassé ainsi d'un personnage dont apparemment, il ne savait trop que faire. Car oui, on le devine aisément, le "Vortex II" va connaître le même sort que le "Vortex I", c'est-à-dire subir l'attraction magnétique des montagnes afghanes sur son moteur révolutionnaire mais qui est un poil trop magnétique lui aussi. L'avion n'ayant à son bord que deux parachutes, le co-pilote Bernard se sacrifie presque le sourire aux lèvres, peu désireux apparemment de connaître la suite de l'histoire. Norbert et Tigrane se retrouvent donc seuls, sans armes et avec peu de vivres, dans une vallée désertique de l'Afghanistan. Bien vite, ils vont découvrir, emprisonné sans eau ni nourriture dans une cage de bois suspendue, un agent britannique déguisé en hindou, Iskandra, qui va les accompagner dans leur quête pour retrouver la trace du "Vortex I" et de son équipage. Mais il va falloir compter avec ceux qui ont enfermé et abandonné à la mort Iskandra : la Tribu Perdue des Kafirs, et leur redoutable chef Vassili, qui règne sur ses hommes par la peur et la superstition : il fait parler le tombeau d'un célèbre théologien musulman, faisant croire que celui-ci donne des ordres venus du Paradis. En réalité, c'est le Mullah, son acolyte, qui joue ce rôle, en s'introduisant dans le tombeau par un passage secret... Comme on s'en doute, tout finira bien dans le meilleur des mondes : l'équipage du "Vortex I" sera retrouvé, les Kafirs seront engloutis dans un tragique entonnoir de sable provoqué par la tempête et un tendre sentiment unira pour la vie Norbert et Tigrane. Que l'on se rassure, André Armandy a fait bien mieux, par le passé comme par la suite, que cette imitation un peu moyenne de « L'Atlantide » de Pierre Benoît. Il est vrai que l'on sent confusément que ni l'histoire ni les personnages ne passionnent l'auteur. L'intéret de ce livre, peut-être parce qu'il est conçu comme un feuilleton radiophonique, c'est avant tout d'immerger le lecteur dans un Orient hostile, plein de créatures dangereuses, de bédouins fanatisés, de tempêtes de sables et de rochers qui s'effondrent. Le titre du roman est d'ailleurs éloquent : la véritable héroïne, c'est bel et bien la "terre de suspicion", cette terre désertique où tout est sujet d'inquiétude et d'angoisse, les animaux comme le sable, les étrangers comme les indigènes... Rien dans cette vallée ne permet de survivre longtemps. Même après avoir rejoint Kaboul, à cette époque ville princière de l'émir, les regards tournés vers les étrangers à bout de forces sont résolument hostiles, les intentions meurtrières sont tangibles. Il est troublant de rapprocher cet Afghanistan dangereux et hostile d'il y a un siècle de celui des Talibans d'aujourd'hui, afin de se rendre compte qu'inexplicablement, malgré un siècle d'invasions diverses et de bouleversements politiques, l'Afghanistan demeure cette même terre de suspicion, de guerres tribales, de luttes de pouvoir, de pillages et de meurtres. Malgré tout ce que le roman d'André Armandy peut avoir d'un peu désuet, voire de complètement farfelu, l'Afghanistan qu'il décrit est bien le même que nous voyons encore aujourd'hui sur nos écrans de télévisions. Si André Armandy est parvenu à retrouver le sens de l'atmosphère de Henry Rider Haggard, indéniablement sa plus grande influence littéraire, son roman pêche par une relative indécision entre l'aventure pure et l'ambiance immersive. Dans « Terre de Suspicion », il se passe trop de choses pour un roman exotique, mais pas assez pour un récit d'aventures. Le roman est descriptif, mais il y manque ce lyrisme flamboyant et désespéré qui est l'une des identités fortes du style d'Armandy. Peut-être effectivement que ce roman gagnait plus à être écouté à la radio plutôt qu'à être lu tranquillement, dans son lit ou sur un fauteuil, attendant vainement que de ce récit un peu simpliste, encombré de dialogues souvent stériles, de personnages un peu trop quelconques, quelque chose de particulier en jaillisse et nous isole du monde. Tout au plus, peut-on se montrer indulgent pour un André Armandy encore peu expérimenté en 1925 et qui, après cette oeuvre colossale et atypique qu'était son premier roman « Rapa-Nui », semblait désireux de montrer qu'il pouvait écrire des oeuvres plus simples, moins tourmentées, plus accessibles au grand public et à la radio, tout en continuant à offrir des destinations exotiques insolites. « Terre de Suspicion » est donc suspect d'avoir voulu être abordable par toute la famille, et même par les gens qui n'aiment pas lire. Il en résulte donc, pour les aficionados d'André Armandy, le sentiment d'un récit un peu fade, non dénué d'incohérences et de superficialités, malgré une intrigue qui était vraiment prometteuse. Heureusement par la suite, avec quelques oeuvres magistrales comme « Les Epaves Dorées » ou le dyptique des « Dalila », André Armandy retrouvera toute sa puissance littéraire et son romantisme tourmenté qui firent de lui un écrivain de tout premier ordre au sein d'un genre romanesque pourtant disparu, mais auquel il a su donner des lettres de noblesse.

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