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ANDRÉ THEURIET - « Les Enchantements de la Forêt » (1881)


Grand romancier de la Belle-Époque, et brillant chroniqueur de la bourgeoisie de province sous la IIIème République, André Theuriet, comme beaucoup d’autres écrivains, a signé plusieurs recueils de nouvelles. Mais alors que la plupart des romanciers n’envisageaient pas le récit court comme une autre manière de faire de la littérature, André Theuriet, qui avait pourtant démarré sa carrière par un premier recueil proche de son travail romanesque, « Bigarreau », signa par la suite de nombreux recueils de nouvelles qui, pour la plupart, s’adressaient à un public jeune, et abordait des thématiques fort différentes de celles qui étaient les ordinairement les siennes. Le plus emblématique, et aussi le plus vendu de tous ces recueils, est indéniablement « Les Enchantements de la Forêt » (1881), un livre qui fut offert aux enfants pour Noël jusqu’au milieu du XXème siècle, et qui eût un énorme retentissement, bien qu’aujourd’hui, il n'est pas forcément évident d’en comprendre la raison. Et pourtant, comme pourtous les best-sellers d’hier et d’aujourd’hui, le succès d’un livre tient moins à la pertinence de son contenu qu’à la place qu’il occupe dans l’époque au moment de sa publication, et l’aspiration collective du public pour les thématiques qu’il aborde – quand bien même il les aborderait sans inspiration, ce qui néanmoins n’est pas le cas ici. Ceci pour dire que la reconnaissance du public se conquiert en arrivant à deviner quelles sont ses aspirations, et le fait que l’écrivain sache bien ou mal y répondre est déjà plus accessoire. Mettre des mots sur une envie suffit généralement à susciter l’enthousiasme. Pourtant, il ne semble pas qu’André Theuriet, pas plus que son éditeur Alphonse Lemerre, ait particulièrement recherché le grand succès. D’ailleurs, « Les Enchantements de la Forêt » ne se voulait qu’un prolongement, à destination des enfants, d’un précédent recueil bucolique de la même veine, « Sous-Bois : Impressions d’un Forestier » (1878) que, dans un premier temps, Alphonse Lemerre n’avait pas voulu éditer, n’étant pas intéressé par les ouvrages pour la jeunesse, et qui avait été publié chez Charpentier. L’ouvrage avait eu un certain succès d’estime, ce qui avait poussé les éditions Hachette a passer commande pour un deuxième recueil de la même veine pour sa collection « Bibliothèque des Écoles et des Familles ». Soucieux sans doute de ne pas se répéter, André Theuriet a abordé ce nouveau recueil élogieux sur les merveilles de la forêt en prenant un angle différent : ce n’est plus le forestier qui parle, mais, le plus souvent, l’enfant, le petit villageois de province pour lequel la forêt est assez souvent voisine de son lieu d’habitation, tout en représentant une véritable ouverture sur le vrai monde, celui qui échappe aux règles et aux devoirs imposés aux enfants, tout comme aux préoccupations d’ordre moral. D’où cette idée des « Enchantements de la Forêt », où il est peu question de biologie, mais bien plus de magie, de féérie, d’imaginaire. Il s’agit moins ici de la forêt elle-même que de ce qu’elle nous inspire durant notre enfance. Ce recueil a la particularité d’être rempli pour moitié d’un seul long récit, d’une centaine de pages, « La Princesse Verte », auquel on a tendance à résumer l’ouvrage, bien qu’effectivement, ce soit l’œuvre maîtresse du recueil. Ce récit raconte l’aventure d’un enfant de huit ans, le petit Pâquin, qui se découvre un penchant authentique pour la féérie, d’abord au travers des livres de contes de fées, puis, lors du passage dans sa ville d’une troupe de saltimbanques, qui mettent en scène un ballet inspiré du conte « La Belle au Bois Dormant », avec des costumes médiévaux et quelques effets spéciaux. Cette passion pour les histoires de fées irrite la grand-mère de Pâquin, fervente dévote, qui n’a que mépris pour ces légendes folkloriques païennes. Elle fait alors enfermer l’enfant dans un pensionnat religieux, où on lui fait apprendre l’Histoire Sainte et la Légende Dorée. Mais Pâquin a déjà bien trop de féérie dans la tête pour trouver le moindre intérêt à ces contes mortifères, pas spécialement plus crédibles que les contes de fées, et certainement moins jolis. Ainsi, tandis que la négligence envers le catéchisme lui vaut punition sur punition, Pâquin se rapproche d’un autre pensionnaire de son âge, lui aussi régulièrement puni, le petit Bigeard, avec lequel il partage sa passion pour les contes de fées. Si l’enthousiasme de Bigeard est plus mesuré, il est néanmoins bien content de pouvoir entendre des histoires plus plaisantes que celles de l’Évangile. Hélas, Pâquin arrive vite à faire le tour de ses connaissances en la matière, et afin de continuer à raconter des histoires à Bigard, il se met à inventer de nouvelles histoires autour de la Princesse Verte, la Reine des Fées, qui vivrait au cœur de la forêt, dans un château merveilleux, et qui exaucerait les vœux de tous les enfants au cœur pur qui viendraient la voir. Cette Princesse Verte intéresse déjà bien plus le petit Bigeard, puisque, après tout, ça a l'air d'être une gentille voisine à laquelle on peut rendre visite. Peu à peu, tandis que son imagination travaille, Pâquin lui-même se persuade que la Princesse Verte existe bel et bien. Un jour que les deux enfants sont consignés dans une salle de punition, Pâquin et Bigeard n’y tiennent plus. Ils parviennent à ouvrir la fenêtre et ils s’enfuient en direction de la forêt, à la recherche de la Princesse Verte. C’est le début de deux jours et une nuit d’errance, à traverser toute la forêt à la recherche de l’hypothétique reine des fées, en croisant le sympathique idiot du village, puis un groupe de bûcherons, et toutes sortes de créatures animales. À  la fin de la nuit passée dans la forêt, le petit Bigeard, ayant compris que Pâquin ne savait pas plus que lui où aller, il le plante là, et rentre au village. Pâquin ne le suit pas : il croit dur comme fer à son rêve de Princesse Verte, et il passe la seconde journée de son périple à arpenter la forêt en pure perte, jusqu’à tomber sur une maison isolée habitée par Bannet, un marginal féru de biologie, habillé de manière farfelue, que Pâquin prend spontanément pour un enchanteur. Ce Bannet est néanmoins un brave homme, qui se doute que l’enfant épuisé qui vient de pénétrer dans sa propriété est le petit garçon porté disparu depuis la veille dont il a entendu parler. Face aux questions absurdes que lui pose Pâquin sur la Princesse verte, Bannet sourit et se prétend effectivement enchanteur au service de la Princesse Verte, et lui propose justement d’assister à un tour de magie de la Princesse Verte qu’il se préparait à aller étudier dans son laboratoire. Le jeune Pâquin assiste alors à l’éclosion d’un papillon de sa nymphe, gardée dans un vivarium et qui, par le plus grand des hasards, sort de sa chrysalide au moment même où Pâquin arrive. L’enfant médusé contemple ce qui lui semble une créatio magique et surnaturelle, tandis que Bannet, le devinant affamé, lui prépare un solide repas, auquel il joint un demi-verre de vin, lequel grise un peu Pâquin. Comme l'enfant semble fatigué, Bannet lui propose de dormir quelques heures, et de l’emmener dès le lendemain rencontrer la Princesse Verte. Pâquin ne tarde pas à s’endormir, abruti par l’alcool, et Bannet le prend délicatement dans ses bras, le met dans sa carriole, et le ramène lentement jusqu’à sa famille, morte d’inquiétude et craignant le pire. « La Princesse Verte » est un conte certes vieillot (l’imaginaire des enfants a bien changé en un siècle et demi), mais qui demeure attendrissant dans sa forme et sa candeur. C’est aussi un conte plus subversif qu’il n’y paraît, du moins pour son temps, puisqu’il sous-entend que l’éducation religieuse est viscéralement néfaste aux enfants. C’est enfin un récit qui ne prend pas les enfants pour des idiots, puisqu’à aucun moment, le jeune lecteur n’ignore que le petit Pâquin vit dans un rêve éveillé et que sa Princesse Verte est purement imaginaire et ne reflète en réalité que la poésie que la forêt inspire naturellement aux enfants. Ce long récit est suivi par une courte évocation, « Les Sabotiers », qui raconte une saison d’un groupe de sabotiers itinérants, qui, afin de ne pas défricher un coin de forêt, ne s’y installe qu’une fois par an, établissant un campement où ils vont vivre pendant quelques semaines, et fabriquer des sabots à partir des arbres fraîchement coupés autour. Puis, un certain objectif étant atteint, ils plient bagages, et repartent pour un autre endroit, quelques dizaines de kilomètres plus loin, s’arrêtant au passage dans les villages sur leur chemin pour vendre leur production de sabots, et acheter vivres et outils avec l’argent gagné. Ces sabotiers nomades sont-ils aussi imaginaires que la Princesse verte ? Curieusement non; il semble même que ce soit fort tardivement dans l'Histoire que les sabotiers se soient installés dans des échoppes. Depuis le Moyen-Âge et même avant, le métier de sabotier était un des artisanats les plus nomades qui soient, à cause de la très grande demande dans une France rurale, pleine de petits villages isolés, mais où tout le monde avait besoin de porter des sabots, ou de renouveler saz paire trop abîmée. Il eût été ruineux et interminable de faire voyager des stocks ntiers de sabots neufs, aussi les sabotiers voyageaient-ils en permanence comme une troupe de romanichels, s’arrêtaient dans les environs d’un village, et fabriquaient dans le bois le plus proche les sabots dont les habitants auraient besoin. Cette évocation poétique, quelque peu surannée parce qu’elle s’attarde sur la sagesse séculaire d’une profession qui n’allait plus tarder à disparaître avec l’exode rural, reste fort instructive pour tous ceux qui sont intéressés par les vieux métiers de la ruralité. Vient ensuite, « L’Écureuil », la seconde "grosse" nouvelle de ce recueil, qui est, me semble-t-il, une des premières tentatives, dans la littérature enfantine, de procéder à une analyse psychologique, même si les déductions ici présentes sont tout de même discutables. Dans les environs de la région natale de l’auteur, autour de Bar-le-Duc, une famille de fermiers cossus accueille pour quelques jours le cousin Bastien, un bonhomme sympathique, mais un peu bizarre, très aimable la plupart du temps mais très renfermé à d’autres, qui mène depuis longtemps une vie perpétuelle de voyageur, ayant revendu sa maison et tous ses biens, et portant sur lui ses fluctuantes économies, qui lui servent à loger ici et là, jusqu’à ce que l’envie impérieuse lui prenne de repartir. Mais après plus d'une décennie de cette vie instable, Bastien a besoin de retrouver la chaleur familiale, et il décide de s’installer définitivement chez ses cousins, en leur louant l’une des chambres vides de leur grande ferme. Le courant passe vite entre Bastien et Joseph, l’enfant de la famille, qui sent confusément chez cet homme étrange, au chagrin secret émouvant, un énorme besoin d’amour filial, auquel il se sent l’instinct de répondre. En réalité, Bastien a perdu dix ans plus tôt son fils unique au cours d’un accident de chasse au cours duquel il visait un écureuil. Au fil des jours, Bastien effectue un transfert affectif sur le jeune Joseph, qui lui-même, se prend d’adoration pour ce deuxième papa si disponible et si dévoué, mais les choses se gâtent quand, au retour d’une promenade, le jeune Joseph ramène un tout jeune écureuil trouvé dans un fourré, et qu’il veut domestiquer. Bastien se sent alors pris de palpitation et de crises d’angoisse… Incroyable de lire en 1881, dans un recueil pour la jeunesse, un récit aussi détaillé sur le traumatisme psychologique d'un adulte, et l’impossibilité de faire le deuil d’une mort brutale. Il manque hélas à André Theuriet une certaine rigueur documentée, ce qui génère quelques incohérences flagrantes dans la névrose du père mortifié. Mais surtout, Bastien ne parvient à exorciser sa hantise qu'en broyant finalement entre ses doigts le jeune écureuil ramené par Joseph, ce qui edonne quand même une scène grandement pénible à lire, assez traumatisante même, pour un enfant. Il y avait peut-être une fin plus douce et moins nauséeuse à donner à ce conte, quand bien même André Theuriet se soit inspiré d’une véritable anecdote, ce qu’il faisait parfois. Enfin, le recueil se termine par une série de 7 courts portraits bucoliques rassemblés sous le titre générique « Oiseaux et Plantes des Bois », titre d’ailleurs mensonger puisqu’il n’est en réalité question ici que d’oiseaux : le merle noir, le martin-pêcheur, le roitelet, la fauvette à tête noire, la mésange bleue, le loriot et la fauvette des roseaux. Ces portraits s’inscrivent dans une forme relativement classique de la Belle-Époque, qui mêlait cet ancêtre des sciences naturelles et des SVT que l’on appelait la « leçon de choses », avec une forme poétique étudiée pour les enfants, faisant de chaque oiseau un portrait anthropomorphe, prêtant à ces volatiles des caractères très humains. On s’en doute, ces portraits sont particulièrement désuets, et valent surtout pour les belles gravures réalistes qui les parsèment, mais ils témoignent d’un temps révolu où les jeunes enfants de la campagne apprenaient les noms de tous les oiseaux des champs qui vivaient dans leur environnement immédiat, en même temps qu’ils apprenaient à lire, à écrire et à compter. Aujourd’hui que nos enfants naissent et grandissent dans des villes mortes et surpeuplées, où même les insectes se font rares, il est évidemment très attendrissant de lire ces portraits d’un autre temps, d'une autre France même, où les oiseaux du quotidien étaient décrits presque comme des voisins, qu’il fallait saluer et chérir en citoyens muets mais essentiels de nos petits villages. Pour conclure, « Les Enchantements de la Forêt » n’est clairement pas le livre d’André Theuriet qui a le mieux vieilli. De par sa pédagogie même, le recueil, qui mélange poésie bucolique et sciences naturelles, nous dépeint une nature immuable, souveraine, à laquelle tout jeune enfant doit s’adapter, et en reconnaître l’essence quasi-divine, bienveillante et éternelle. Qui pouvait encore soupçonner en 1881 que des hommes seraient assez fous pour inventer le bulldozer ? De ce fait, la lecture des « Enchantements de la Forêt » est sans doute un peu déprimante, et ne serait plus aujourd’hui à mettre entre les mains d’un enfant, lequel bien évidemment n’en comprendrait rien, ou au contraire, le comprendrait trop bien, et en grandissant, il n’en jugerait que plus détestable et odieux notre monde moderne. En revanche, pour des lecteurs adultes, cela reste à la fois une œuvre désuète mais pleine de charme, et un témoignage plus riche qu’on pourrait le penser sur la perception très édénique que l’on se faisait encore, à la fin du XIXème siècle, d’une France rurale dont les jours étaient pourtant comptés. Enfin, ce serait mentir que de ne pas dire que, sensiblement, quelque chose d’un peu magique, d’un peu féérique, et d’universellement enfantin, parvient encore à survivre dans cette œuvre, pour qui sait le déceler entre les lignes, et cela permet de comprendre, encore aujourd’hui, pourquoi plusieurs générations de familles françaises se sont reconnues dans ces « Enchantements de la Forêt », qui ont su si bien cristalliser l’imaginaire paisible et pastoral de toute une époque.   Quelques unes des 37 gravures incluses dans l'édition originale, et colorisées via l'application Palette.











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Guest
Aug 20

Il y a une naïveté dans ce livre que je ne trouve pas déplaisante, mais ce n'est en effet pas le livre le plus mémorable de Theuriet. Ses mémoires sont beaucoup plus recommandables.

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