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KARL-HEINZ HELMS-LIESENHOFF - « Gretchen En Uniforme » (1947) [Une Armée de Gretchen, Tome 1]


Présentée faussement comme l’œuvre réaliste d’un ex-officier de la Wehrmacht, la trilogie « Une Armée de Gretchen », signée sous le nom de Karl-Heinz Helms-Liesenhoff, fut en réalité l’œuvre d’un auteur, ou plus probablement d’une autrice, originaire de Suisse Romande, et dont la filiation avec le Parti Communiste Suisse, ou même les services de propagande de l’U.R.S.S., ne fait aujourd’hui plus de doute. Publié en Allemagne en 1947 chez un petit éditeur, puis rapidement censuré et pilonné, « Gretchen En Uniforme » passa relativement inaperçu, et ne rencontra le succès que deux ans plus tard, en 1949, lors de sa publication aux Pays-Bas, dans une traduction néerlandaise qui ouvrit au mystérieux auteur les portes d’un succès littéraire international, lequel se poursuivit avec la publication postérieure de deux autres romans reprenant les mêmes personnages, « Gretchen Sans Uniforme » (1951) et « Gretchen En Liberté » (1953). Le fait que cette saga s’arrête brutalement en 1953, année de la mort de Joseph Staline et de la mise en place d’une nouvelle politique plus rationnelle par son successeur, Nikita Khrouchtchev, confirme l’affiliation du prétendu Karl-Heinz Helms-Liesenhoff à une pensée stalinienne jusque là triomphante. Les trois romans de cette saga, par ailleurs, témoignent également de l’influence notable de la littérature russe sur son auteur, et spécifiquement de celle de Fiodor Dostoïevski. La narration monolithique, la multiplicité des personnages aux allures de damnés, errant dans une grande précarité et une forte souffrance psychologique, sont des éléments typiques de ce classicisme russe teinté de martyrologie chrétienne, qui ne doit rien à la littérature européenne. Pour autant, et on s’en doute, la qualité d'écriture n’est pas la même ici, la profondeur littéraire non plus. Il est encore difficile d'expliquer aujourd’hui ce que la plume dissimulée derrière le nom de Karl-Heinz Helms-Liesenhoff cherchait véritablement à provoquer avec ces trois romans ouvertement malsains et psychotiques. Bien que souvent décrits comme des « romans de gare », les trois tomes de cette série littéraire sont le contraire absolu du roman de gare, lequel appartenait souvent à un genre déterminé (policier, espionnage, action, science-fiction, érotisme). Or, « Une Armée de Gretchen » ne relève d’aucun genre populaire spécifique. C’est une chronique de guerre (pour le premier tome) et d’occupation (pour les deux autres), visant à montrer, d’une manière âpre et terrifiante, le chaos dans lequel la société allemande se retrouve brutalement plongée au moment de la chute du IIIème Reich. Le style, sans être flamboyant, est assez soigné, tout en s'autorisant des dialogues souvent grossiers et orduriers, mais d'abord dans un souci de réalisme. En dehors de cela, ces trois romans prônent et défendent une théorie hautement farfelue : si l’Allemagne a perdu la guerre, c’est à cause de ses femmes. Adolf Hitler, en effet, avait étendu la conscription aux jeunes femmes célibataires et sans enfant, qui furent envoyées sur le front comme auxiliaires. Ces recrues féminines s’occupèrent principalement de tâches bureaucratiques et de logistique, mais la présence de jeunes femmes en uniforme nazi, à proximité de champs de bataille exclusivement peuplés d'hommes, généra dans l'imaginaire masculin un fantasme sexuel nouveau, celui d’une division de femmes SS fanatisées, se donnant aux soldats pour entretenir le moral des troupes, ou au contraire, couchant avec l’ennemi pour en tirer des renseignements. Dans tous les cas, on leur prêtait l’image ancestrale de la vestale, de l'amazone, de la femme facile et perverse, que l’on redoute intérieurement mais dont on aimerait néanmoins profiter des faveurs si accessibles. Ajoutons à ce renouveau de ce qui n’est jamais qu’une vieille rêverie lubrique, l’esthétique très particulière des cabarets berlinois des années 30-40, incarnant, en parallèle de la montée de l’idéologie nazie, une sorte de décadence vile, corrompue mais néanmoins fascinante; et l’on devinera sans peine toute la fantasmagorie sexiste, lubrique, - et un poil revancharde parmi les peuples ayant vécu l’occupation nazie -, qui fut délibérément associée aux femmes allemandes de la seconde moitié du XXème siècle, lesquelles n’étaient en réalité ni plus chaudes ni plus décadentes que celles des autres pays d'Europe. Karl-Heinz Helms-Liesenhoff choisit d'exploiter ce fantasme en lui accordant un crédit absolu, tout en le désapprouvant avec une misogynie particulièrement prude et dédaigneuse, teintée d’aversion profonde pour les plaisirs de la chair, ce qui me semble typique d’une jalousie et d’une rancœur de femme, probablement peu attirante elle-même, et qui m’incline à penser que Karl-Heinz Helms-Liesenhoff était plutôt une autrice qu’un auteur. D’autant plus que ces trois romans font la part belle à la dissection de la psychologie féminine, alors que les personnages masculins y sont plus binaires, soit comme brutes primaires et lubriques, soit au contraire dans des rôles d'hommes justes, dévoués et attentionnés, c’est-à-dire de vrais rêves idéalistes de jeune fille.   La trilogie « Une Armée de Gretchen », en dépit des jaquettes très aguicheuses signées en France, dans les années 60, par Jacques Blondeau et Aslan, ne sont donc nullement des romans érotiques ou libertins, contrairement à ce que l'adaptation cinématographique de 1973, pantalonnade sympathique et joyeuse, peut laisser croire. Bien au contraire, si le sexe est ici omniprésent, il est très peu explicite, et Karl-Heinz Helms-Liesenhoff le décrit comme une sorte d’épidémie bestiale, générée par des succubes dépravées et orgueilleuses, qui entendent bien construire leur carrière ou leur fortune en exploitant la désolante lubricité des mâles. Ce sont toutes ces auxiliaires féminines, selon la probable autrice, qui ont fait perdre l’Allemagne nazie, laquelle a commis l’erreur de leur donner à toutes, même à des jeunes filles sans instruction issues de la ruralité, l’opportunité de briller sur le champ de bataille, et d'en tirer fierté ou ambition, sans jamais réellement risquer leurs vies. Évidemment, tout ça est à la fois très caricatural et ouvertement germanophobe. Peut-être, durant les années qui suivirent la fin de la Seconde Guerre Mondiale, n’était-ce là que le reflet de l’inquiétude qu’inspirait soudain ce vivier de veuves de guerre ou d’orphelines à la rue, qui pouvaient attirer la concupiscence de riches célibataires européens, comme, de nos jours, c’est le cas pour les jeunes femmes ukrainiennes qui souhaitent fuir leur pays en guerre. Peut-être aussi n’était-ce que la démence paranoïaque toute personnelle d’un(e) militant(e) communiste dont la hiérarchie a saisi l’intérêt politique d’un tel projet littéraire, et a donné le feu vert à cette fumisterie. « Gretchen en Uniforme » est cependant le tome le plus faible de cette trilogie, d’abord parce que la probable autrice ne maîtrise pas encore totalement son concept. Elle excelle dans les descriptions et les portraits psychologiques, mais sa narration est pataude, mal équilibrée, et même aggravée par la coupure maladroite de certains passages, soit dans l’édition originale, soit dans la traduction française, qui posent quelques problèmes de cohérence mineurs. Il est probable que la personne dissimulée sous le nom de Karl-Heinz Helms-Liesenhoff avait une expérience journalistique conséquente, mais s’essayait pour la première fois à un long récit. L’histoire se déroule dans une petite ville de province allemande qui ne sera jamais nommée, durant la dernière année de la Seconde Guerre Mondiale. Deux familles bourgeoises vivent côte à côte, partageant, outre une amitié commune, un certain rejet du nazisme et une préoccupation semblable pour le futur de l'Allemagne : les Kuhn et les Bückeborg. Félix Kuhn est le directeur de la clinique locale. Il est à la fois chargé de l’examen médical des futures auxiliaires féminines, et du soin des auxiliaires déjà en service, mais souffrant de dépression ou de maladies vénériennes. Il désapprouve ce recrutement aveugle de jeunes femmes, et a tendance à classer comme inaptes toutes celles qui renâclent à s’engager ou qui, psychologiquement, lui semblent peu résistantes face aux scènes de guerre auxquelles elles seront confrontées. Ce faible rendement a attiré l’attention de la Gestapo, qui le surveille étroitement. Félix Kuhn a également deux filles, Marga et Eva, élevées selon des valeurs morales et chrétiennes, et qui sont pour l’instant dispensées de la conscription. Son voisin, Albert Bückeborg, intéresse aussi la Gestapo. C’est un journaliste d’opposition, modéré dans ses propos, mais bien décidé, à la lumière de ce que lui en rapporte Félix Kuhn, à publier sous le manteau un livre sur le scandale des « Gretchen » (prénom allemand dérivé de Margaret, et associé aux jeunes filles précoces et allumeuses, exactement comme le prénom « Lolita »), que le Reich asservit en les prostituant. Hélas, Albert Bückeborg a lui aussi une fille dans la vingtaine, Grete, totalement fanatisée par l'idéologie nazie, et qui devance l’appel de la conscription pour devenir elle-même une « Gretchen » volontaire au service du Führer. Lors de son incorporation, elle dénonce son père comme activiste communiste, nécessitant une surveillance, sans savoir qu'il est déjà surveillé. Albert Bückeborg est donc arrêté, et déporté en camp de concentration après avoir été informé que c’est à sa propre fille qu’il doit sa disgrâce. Une fois les nazis partis, l'épouse désespérée d'Albert Bückeborg se suicide par pendaison. La Gestapo tente ensuite de faire subir le même sort à Félix Kuhn, mais en tant que médecin des troupes et examinateur médical, il bénéficie de la protection de son ami, le très influent docteur Algen. La Gestapo ne peut s’emparer de Kuhn, mais elle parvient à le faire envoyer en mission sur le front ouest, et durant son absence, ses deux filles, Eva et Marga, sont incorporées d’office aux « Gretchen ». Marga ayant elle-même fait des études médicales, elle parvient à se faire employer comme infirmière, ce qui lui évite d’avoir à se prostituer. Dans le baraquement où elle est employée, elle rencontre deux soeurs jumelles issues d'une famille aristocrate ruinée, elles aussi auxiliaires, avec lesquelles elle sympathise, bien que leurs mentalités soient très éloignées de la sienne : Sigrid von Montane, jeune fille atteinte d’un début de leucémie, et qui s’est portée volontaire pour prendre du bon temps avant de mourir, et Ursula (ou Ulla) von Montane, courtisane dévoyée et ambitieuse, et qui se cherche un protecteur durable pour l’entretenir. Ursula ne joue ici qu’un rôle assez mineur. Elle sera plus volontiers mise en avant dans « Gretchen sans Uniforme », et deviendra même la principale héroïne de « Gretchen en Liberté ». Eva Kuhn a moins de chance que sa soeur. Elle se retrouve dans un camp militaire, chargée de manier un canon D.C.A. et, lors d'une pause, elle est brutalement violée par son officier supérieur. Choquée par cette agression, elle déserte, erre durant plusieurs jours dans la campagne allemande, et finit par être arrêtée par une autre brigade nazie, conduite par un officier plus rigide, auquel elle raconte le viol qu’elle a subi, un viol dont - heureusement - elle conserve encore des marques visibles sur son corps pour en fournir la preuve. Sur ordre de l’officier, son indélicat confrère est identifié, dégradé, et envoyé sur le front comme simple soldat, avec mission de s'y faire tuer en héros. Mais hélas, malgré cette justice qui lui est rendue, Eva n’en reste pas moins coupable de désertion en temps de guerre, et à ce titre, elle est fusillée.   Pour Marga comme pour son père Félix Kuhn, l’expérience du front a le mérite de leur faire comprendre que l’Allemagne est en train de perdre complètement la guerre qu'elle a voulu imposer. Les morts se comptent par milliers, les soldats blessés sont de plus en plus nombreux et il est impossible de les soigner correctement sur place. Alors qu’il tente de venir en aide à une auxiliaire grièvement blessée, Félix Kuhn reçoit, de la part d’un soldat ennemi, une rafale de mitraillette dans le bras gauche. Malgré le mal que ses collègues se donnent pour désinfecter ses plaies, la gangrène s’y installe, et le personnel médical est obligé d’amputer le bras de Félix jusqu’à l’épaule. Désormais handicapé et blessé de guerre, Félix quitte le front et regagne sa clinique, où, sur sa demande à l'administration, Marga le rejoint comme doctoresse assistante. C’est alors que Félix Kuhn a la fort désagréable surprise de voir nommée à son service comme infirmière la jeune Grete Bückeborg. Ceux qui l’ont recrutée ont bien compris qu’il y avait un meilleur emploi pour une telle fanatique que de servir de paillasse à soldats. Ainsi, Grete a principalement travaillée dans des bureaux et des administrations, et ne sait rien du rôle "péripatéticien" des autres « Gretchen », pas plus que du sort de ses parents, ni des conséquences que leur délation a eu sur la famille Kuhn. Avec une haine mal dissimulée, le docteur Kuhn lui révèle alors tout ce dont elle est responsable et, totalement anéantie par ce que Félix lui apprend, Grete Bückeborg tombe évanouie. Avec cynisme, le docteur Kuhn ordonne qu’on l’enferme dans la section des « Gretchen » atteintes de syphilis, pour qu’elle mesure bien pour quelle cause abjecte elle a détruit deux familles, y compris la sienne. Hélas, c’est une bien mauvaise idée qui lui est venu là, car à son réveil, Grete Bückeborg a en réalité perdu la raison sous le choc de la révélation brutale des conséquences de son engagement et, plongée au milieu de ces prostituées corrompues et rigolardes, elle sent monter en elle des envies de Solution Finale. Elle parvient à s’échapper de la section, s’empare d’une dosse massive de cyanure, et empoisonne toutes ses camarades de chambrée avant de fuir la clinique en s'évadant par une fenêtre. Après des semaines d’errance, Grete est finalement arrêtée par des soldats nazis qui, saisis par ses propos délirants, la font enfermer dans un hôpital psychiatrique. Félix Kuhn se retrouve pénalement responsable du meurtre de la quarantaine de « Gretchen » empoisonnées dans sa clinique, et à nouveau, en guise de punition, il est muté dans un autre établissement médical sur le front arrière, dans une clinique spéciale de la capitale de l'Estonie, Reval (ou plutôt Tallinn, car le nom Reval a été abandonné en 1918, et il est étrange que l'autrice ne l'ait pas su). Là, Félix Kuhn va découvrir un horrible mouroir entièrement consacré aux « Gretchen » atteintes de maladie vénérienne ou de troubles psychiatriques, et de nouvelles horreurs vont se révéler à lui… La fin de la guerre et la mort d’Hitler permettront enfin au docteur Algen, qui a remplacé Félix Kuhn à sa clinique, de le rapatrier, ainsi qu'Albert Bückeborg, afin de les ramener dans leurs foyers respectifs, aussi endeuillés soient-ils. « Gretchen En Uniforme » est donc un voyage éprouvant dans la vision infernale d’une Allemagne qui semble rongée par une syphilis morale et politique. Sur le plan historique, si l’auteur ou l’autrice semble s’être longuement renseigné sur la hiérarchie militaire du IIIème Reich, l’Allemagne décrite ici n'en demeure pas moins floue et inconsistante, à l’image de la capitale estonienne, réduite seulement à son hôpital. Les crimes nazis ne sont qu’à peine effleurés, tout comme la stigmatisation des Juifs. En réalité, tout le chaos du pays ne semble venir que de la corruption de ses femelles. La défaite du IIIème Reich ne découle que d’avoir donné aux femmes la liberté de se servir de leurs corps. Pour un peu, on croirait qu’Hitler aurait gagné si seulement il avait plutôt envoyé les jeunes femmes à l’usine. C’est à la fois sinistre, odieux et grotesque, d’autant plus que cette pudibonderie morbide n’est qu’un prétexte particulièrement stupide de valoriser l’effort collectif et la nécessité de travailler pour son pays. Le sexe ici n’est pas seulement perçu comme un dévoiement moral, c’est le triomphe de l’égoïsme, de l’hédonisme et de la paresse, et cela entraîne le goût de la cupidité, de l’argent, de la spéculation et de l’élévation sociale. Pour Karl-Heinz Helms-Liesenhoff, la luxure mène donc au luxe et au capitalisme, et peut-être est-ce là son plus grand crime. Bien sûr, face à cette frigidité stalinienne mortifère, la raison se cabre, plus encore aujourd’hui qu’à l’époque, et pourtant, malgré tout, on peut trouver à ce roman le charme maladif et psychopathe d’un tableau de Hyeronimus Bosch, et il a, de plus, le mérite de nous rappeler qu’hier comme aujourd’hui, bien des prosélytes d’un monde nouveau et prétendument meilleur, bien des défenseurs de l’égalité sociale et de l’inclusivité forcenée, semblent toujours évoluer dans un cauchemar obsessionnel, au service d'une névrose sacrificielle, dont ils renient être les seuls auteurs, tout en ne rêvant que de l’implanter de force dans les esprits sains pour se sentir eux-mêmes moins malades. De ce fait, lire « Gretchen En Uniforme » est une épreuve plutôt désagréable, en dépit des qualités réelles de l'ouvrage, mais étrangement, on tire une certaine satisfaction à en venir à bout, comme si, finalement, c’était une façon d’acter le caractère périmé de ce délire puritano-marxiste, et de prendre conscience que la tentation du Mal ne viendra plus de cette politique-là, laquelle se rabaisse si aisément au niveau de la politique adverse, celle-là même qu’elle prétend dénoncer, qu'elle en perd toute crédibilité, et même toute estime.

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