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MARIO UCHARD - « Mon Oncle Barbassou » (1884)



Mario Uchard est l'archétype d'un certain type de littérateurs bourgeois de la IIIème République, voguant entre le roman de moeurs et le vaudeville avec un certain bonheur, mais dans un contexte littéraire et social que l'on peut juger tout à fait désuet, d'autant plus désuet que sur bien des plans, il n'a pas apporté grand chose de plus à la littérature française que nombre de ses collègues. Comme Albert Cim et quelques autres, Mario Uchard était un bureaucrate venu tardivement à la littérature par délassement, et que le succès amena à se consacrer entièrement à la littérature. Heureux siècle que celui où un écrivain n'était nullement obligé de travailler pour vivre... Ancien agent de change qui sembla fuir dans l'écriture la morne jeunesse qui fut la sienne, Mario Uchard alliait la qualité d'un narrateur soigné à la sagesse de n'envisager rien de plus que de distraire ses lecteurs. Cela fit de lui un auteur léger de qualité, là où il aurait pu se consacrer à une littérature ambitieuse mais médiocre. Car avouons-le, malgré ses évidentes qualités littéraires, Mario Uchard n'avait pas grand chose à raconter. « Mon Oncle Barbassou » est en ce sens son oeuvre la plus audacieuse et la plus originale, et il frôla même quelques sérieux problèmes avec la censure. Sous ses airs de farce boulevardière, ce roman n'est rien moins qu'une élégie au harem, et partant de cela, aux amours multiples, ce que l'on appelle volontiers de nos jours le "polyamour", et dont on peut reconnaître à Mario Uchard l'insigne honneur d'en être l'un des premiers théoriciens de l'ère moderne. « Mon Oncle Barbassou » se déroule dans une famille aristocrate du Gard. Le jeune André de Peyrade, jeune homme à peine sorti de l'adolescence, apprend avec consternation la mort de son oncle Barbassou. Cet aventurier collectionneur de femmes, ayant abandonné l'éducation stricte reçue par ses parents, possesseurs de l'antique Château de Férouzat, était parti aux colonies, sans un centime, et pour on ne sait trop quelle vie de trafiquant. Il fut longtemps la honte de sa famille, jusqu'à ce que l'on sache qu'il avait fondé un peu partout des exploitations et des entreprises commerciales qui faisaient de lui un homme plus riche que sa famille. De ce fait, on lui pardonna tout, et il put hériter du château familial, où néanmoins, il ne séjournait que quelques semaines par an, étant toujours en voyage quelque part dans le monde. Chaque année, le petit André était invité au château pour saluer son oncle, lequel enjoignait alors l'enfant à "embrasser sa tante". Et chaque année, cette tante était une femme différente, ramenée de quelque pays lointain. Le jeune André se laissait griser par ses parfums féminins variés, et par le nuancier des couleurs de peau et des types ethniques des épouses ramenées par ce diable d'oncle Barbassou. Hélas, l'oncle Barbassou finit par faire une mauvaise rencontre et on le découvre mort dans le désert égyptien. Son corps rapatrié et dûment inhumé, on procède à l'ouverture du testament. Les principaux biens de l'oncle sont équitablement répartis entre une dizaine de femmes à travers le monde, mais le château et la fortune de l'oncle sont confiés au jeune André de Peyrade, sous la double condition d'assumer les fonctions d'exécuteur testamentaire et de laisser le pavillon turc du château, spécialement construit par Barbassou, à son grand ami Mohammed-Azis, exilé d'Orient, ainsi qu'à ses filles. André s'acquitte le mieux possible pour faire parvenir mobiliers et bibelots aux veuves lointaines de Barbassou, puis rend visite à Mohammed-Azis, un brin gêné, qui révèle à André qu'il n'a pas de filles, mais que les quatre jeunes femmes qu'il héberge depuis peu sont en fait une "commande" de l'oncle Barbassou, quatre jeunes hétaïres, spécialement éduquées pour le plaisir des hommes, que l'oncle Barbassou voulait acquérir, autant pour son usage personnel que pour ajouter un peu de décorum supplémentaire à son pavillon turc. En tant que vieux musulman, Mohammed-Azis n'a que peu d'estime pour les femmes, et particulièrement pour les houris, aussi, Barbassou étant mort et sa commande payée, Mohammed abandonne ses quatre colocataires à André, en lui recommandant d'en faire ce que bon lui semble. Pour le jeune homme, c'est un torrent de féminité et de sensualité qui s'abat sur lui. Guère farouches, charmées de se découvrir comme maître un garçon de leur âge alors qu'on leur avait parlé d'un vieillard, elles n'ont aucun mal à offrir leurs charmes au jeune André, qui n'en demandait pas tant. Lui ne parle pas turc, aucune d'entre elles ne parle français, seule la plus belle des quatre, Kondjé-Gul, parle assez bien italien, langue qu'André ne pratique pas trop mal. Mais bientôt les mots sont superflus, et seuls les corps s'expriment. André passe toutes ses journées et ses nuits avec ses quatre demoiselles, les honorant tour à tour ou ensemble, et effectuant avec elles de longues promenades dans les jardins du château, persuadant malgré lui ces jeunes filles qu'elles appartiennent à un prince régnant. Hélas, le bonheur n'a qu'un temps, et quatre femmes apportent bien vite quatre fois plus de problèmes qu'une seule. De par son statut d'interprète, Kondjé-Gul prend un ascendant sur les trois autres filles, ce que ces dernières vivent très mal. Un soir, elles se jettent de toutes leurs griffes sur Kondjé-Gul et la frappent avec haine. Elles exigent ensuite d'André qu'il revende cette mauvaise fille au marché aux esclaves, ignorant que de telles pratiques n'ont pas vraiment cours en France. Devant cette mini-révolution, André découvre qu'il manque singulièrement de l'autorité nécessaire pour punir ces filles ou pour les ramener à la raison, et il s'inquiète soudain de cette situation que, par ailleurs, ses propres parents ignorent, et qui pourraient créer un scandale sans précédent dans la petite ville aux abords du château. Faisant croire aux trois jeunes femmes qu'il se débarrasse de Kondjé-Gul, il l'installe en réalité dans une chambre isolée du château. André découvre que la volonté de la jeune femme de vouloir dominer les autres femmes était principalement due au fait qu'elle était profondément amoureuse d'André, et supportait de plus en plus mal de le partager. Ému par les sentiments de la jeune femme, André sent lui aussi grandir dans son coeur un amour sincère et profond pour Kondjé-Gul. À ce moment, survient au château celui que personne n'attendait : l'oncle Barbassou, en personne, furieux que tout le monde le regarde comme un revenant. André lui explique alors que c'est exactement ce qu'il est devenu aux yeux de tous ses proches. On ne tarde pas à s'expliquer : détroussé par un guide malhonnête, Barbassou avait constaté, au retour d'une visite à un de ses amis sultans, que ses papiers et sa veste avaient été volés. C'est le corps de ce voleur qui avait été découvert inanimé dans le désert, et qu'au vu des effets et des papiers qu'il portait, avait été pris pour l'oncle Barbassou en personne. Néanmoins, jugeant que son neveu a magnifiquement géré ses affaires, et trouvant amusant d'être administrativement mort, Barbassou ne souhaite ni récupérer ses biens, ni sa fortune. Échaudé par ses dernières aventures, il décide de revenir s'installer définitivement au château et de profiter désormais de son harem. André lui explique alors la situation de Kondjé-Gul, et l'oncle amusé accepte d'abandonner au neveu sa favorite, et saura modestement se contenter des trois autres. Néanmoins, la situation de Kondjé-Gul n'est pas claire, aussi, puisqu'elle n'est plus une esclave, il faut en faire une jeune femme éduquée et parlant français. André l'envoie donc durant une année dans une pension religieuse très cotée, tout en s'arrangeant pour faire l'amour avec elle en cachette en faisant le mur. Mais dans cette pension, le hasard fait que Kondjé-Gul se lie d'amitié avec deux jeunes filles qui se trouvent être les filles d'une famille amie des de Peyrade. Aussi, à la fin de l'année scolaire, André a-t-il la surprise de voir son amante secrète officiellement introduite chez lui par des camarades de pension lors d'une réception organisée par ses parents. S'étant montré une remarquable élève, et possédant désormais des bonnes manières qui rendent insoupçonnable son passé d'esclave, Kondjé-Gul fait une forte impression sur la famille d'André, mais aussi sur un de leurs invités, un comte russe nommé Kiusko, qui bientôt harcèle la jeune femme pour qu'elle l'épouse, un projet auquel il s'attache d'autant plus que possédant une propriété en Turquie, il compte bien s'y installer d'ici peu. Devant le refus obstiné de Kondjé-Gul de lui céder, il la fait espionner et découvre sa relation avec André. Jaloux et furieux, il fait enlever Kondjé-Gul et la ramène en Turquie, avec la complicité de la famille de Kondjé-Gul dont il a acheté les services. Incapable de vivre sans la jeune Turque dont il est amoureux, André de la Peyrade, accompagné de l'astucieux Barbassou, partent à la poursuite de Kiusko afin de délivrer Kondjé-Gul... Démarrant comme une farce gauloise, « Mon Oncle Barbassou » évolue vers le roman d'amour, avant de s'achever dans un récit d'aventures trépidant, où la morale est sauve, puisque André peut enfin, à la toute fin du roman, épouser sa douce Kondjé-Gul. L'évolution du récit est rendue très habilement crédible, de par sa forme de roman épistolaire. Chaque chapitre est en fait une lettre écrite, à un ou plusieurs mois d'intervalle, par André à un ami. Le jeune homme y narre ses dernières aventures, mais aussi ses changements rapprochés d'état d'esprit, au fur et à mesure que le prosélyte enthousiaste du polyamour laisse la place à l'attachement naissant, puis profond, qu'André ressent pour Kondjé-Gul. C'est à mon avis une des meilleures applications du récit épistolaire, d'autant plus qu'il ne témoigne pas ici d'une correspondance suivie : plusieurs mois s'écoulent parfois entre deux courriers, et chaque lettre marque une rupture avec l'esprit de la précédente. Tout cela donne beaucoup de naturel et d'immersion à une intrigue qui n'est pourtant pas crédible, pour peu que l'on y réfléchisse deux minutes. La conclusion relativement conventionnelle du récit - et qui a certainement aidé ce roman à passer le cap de la censure - ne doit pas faire oublier tout ce qu'il peut avoir d'authentiquement subversif. Car toute la première moitié du roman est un hymne à l'existence libertaire et coloniale : celle de l'oncle Barbassou, mais celle aussi du jeune André que son harem initie à la mentalité orientale. Chez l'oncle comme chez le neveu, il y a un refus marqué des conventions bourgeoises et des mentalités pudibondes. Tout cela, évidemment, ne se fait pas sans de nombreux clichés que l'on peut aujourd'hui juger racistes sur la volupté prétendue des orientales, et sur la rapacité et la cupidité de leurs familles. Tout ici est fantasmagorie, fantasmes sexuels (même si le vocabulaire reste chaste, on sent toute une frénésie chez l'écrivain dans sa manière de dépeindre la sexualité débridée des filles du harem) et fantasmes romantiques (« Cendrillon » version turque), propres à faire rêver de manière complémentaire lecteurs et lectrices, amateurs d'érotisme ou d'histoires sentimentales. Tout cela donne au final un roman très réussi, à la fois original et classique, subversif et malgré tout candide, étonnamment progressiste pour son époque, s'opposant en tout cas à toute référence morale et religieuse. C'est aussi un pamphlet à peine voilé contre le mariage en tant qu'institution, contre toute une morale française et chrétienne qui est ici assez joyeusement foulée au pied, ridiculisée par la comparaison avec les élans du coeur et du sexe, semblables et instinctifs, tels qu'ils sont promulgués par la mentalité orientale - musulmane, selon l'auteur, mais sa perception de l'Islam est quelque peu caricaturale, et assez limitée au principe des harems. Sans agressivité, ni haine, sans prosélytisme politique et à cent lieues de la morgue d'un auteur anarchiste, Mario Uchard nous plonge dans une fantaisie hédoniste et émoustillante tout à fait délectable, et qui, à l'instar de William Blake, affirme que la tour de la sagesse nécessite de passer par les chemins de l'excès. S'abandonnant tout entier à la joie de posséder un harem, un homme finit par y découvrir la femme de sa vie, avec laquelle il partagera un amour fidèle et sans tâche. Comme dirait Marc Lévy : Et si c'était vrai ?...

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