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MAURICE LARROUY - « Leurs Petites Majestés » (1926)


Maurice Larrouy était un écrivain qui, aux yeux de notre époque, accuse deux fautes impardonnables : il était militaire et il était un convaincu du bien-fondé du colonialisme. À son corps défendant, il savait au moins de quoi il parlait : né lui-même à Oran, dans l'Algérie Française, il fit une brillante carrière comme officier dans l'Indochine française, entre 1903 et 1919. Après quelques publications mineures sous le pseudonyme de René Milan, il se lança sous son vrai nom comme écrivain, principalement de romans d'aventures mais aussi de livres de souvenirs. L'Indochine le hanta jusqu'à la fin de ses jours, mais cette nostalgie lui valut tout de même le prix Femina en 1917 et la prestigieuse adaptation de son roman « Coup de Roulis » en opérette par André Messager et Albert Willemetz.

Maurice Larrouy avait un véritable talent d'écrivain, mais il souffrait un peu de la rigidité un peu sèche de l'officier qu'il n'avait jamais vraiment cessé d'être. Quelque peu traumatisé par la Grande Guerre, Maurice Larrouy a beaucoup entretenu le souvenir du monde de sa jeunesse, laminé par la guerre, non sans d'ailleurs l'idéaliser un peu trop.

« Leurs Petites Majestés » est un de ses romans les plus drôles, car Larrouy est souvent assez sinistre. Mais cette pochade décrite sans vulgarité et avec une gauloiserie bon enfant se révèle un agréable délassement.

Maurice Larrouy confesse lui-même que, sans être rigoureusement authentique, son roman est un collage de différents souvenirs de ses années passées en Indochine. Bien qu'il juge nécessaire de l'expliquer en préface, le côté patchwork se ressent véritablement à la lecture, en dépit d'une intrigue pourtant très linéaire.

Le roman narre le voyage effectué par le navire de guerre "Roncevaux" et son équipage, chargés de transporter un vieux roitelet mégalomane d'un obscur royaume récemment assimilé, appelé Sikar, et situé sur une péninsule. le but de la mission française est de descendre du nord au sud de l'actuel Vietnam, afin de mener le roi Pharnavong rencontrer les autres rois des différentes provinces de l'Annam et de la Cochinchine, en empruntant le fleuve Mékong, puis le Tonlé Sap jusqu'à Phnom Pen, au Cambodge, avant d'aboutir à Saigon (l'actuelle Hô Chi Minh Ville).

Evidemment, cette visite diplomatique est loin de se passer comme elle le devrait. Pharnavong est un petit tyran hystérique, sexagénaire et décharné. Il se fait accompagner de deux ministres, Ploum et Bang, eux aussi des vieillards cacochymes, mais qui servent surtout de domestiques et de gardes du corps, du moins quand ils ne dorment pas ou ne passent pas leur journée à vomir à cause du mal de mer. Enfin, ce qui est bien plus grave, Pharnavong impose l'accompagnement de ses trois épouses, des adolescentes âgées de 12 à 15 ans, qui sont grandement émoustillées par les marins musclés et virils qui travaillent sur le navire, et qui eux-mêmes, n'ayant parfois pas vu de femmes depuis plusieurs mois, sont victimes d'idées sexuelles permanentes.

Les trop jeunes reines Yott, Soï et Thié s'ennuient profondément avec leur roi, dont les érections sont flageolantes et de courte durée, et qui se venge sur elles en les fouettant à la moindre incartade.

Le "Roncevaux" est dirigé par un officier de la plus grande rigueur et au plus grand sérieux, le patriarche breton Hugon de Kerquibec, qui commence par confisquer au roi ses verges et ses fouets, attendu qu'aucune femme ne sera battue sur son navire tant qu'il en sera le commandant et seul maître à bord après Dieu. Se sentant encouragées par la mansuétude de celui qu'elles jugent d'une plus grande autorité que leur roi, les trois reines annamites, à peine pubères mais déjà très savantes, passent l'essentiel de leurs nuits à échapper à la vigilance somnolente de Plum et Bang, afin de rejoindre subrepticement les marins dans leurs couchettes. Tout cela va générer évidemment nombre d'incidents diplomatiques, d'escapades improvisées, de rendez-vous manqués, tandis que les deux officiers chargés de veiller au bon comportement des jeunes femmes, les lieutenants Goyenne et Quintard, finissent par succomber aux charmes capiteux des jeunes orientales. Il faudra tout le génie d'apprenti-chimiste de Goyenne pour redonner au roi Pharnavong les capacités érectiles de sa jeunesse, et se faire ainsi pardonner d'avoir culbuté ses épouses.

« Leurs Petites Majestés » est donc une gauloiserie assumée, mais rédigée avec soin, voire même avec un peu trop de soin, car malgré quelques passages mouvementés et riches en rebondissements, le roman avance de manière un peu monotone, au rythme de la lente progression du navire. Les scènes érotiques y sont rares, et célèbrent surtout la féminité grâcieuse des trois adolescentes. La rhétorique y est obstinément correcte et convenable, malgré tout ce que le sujet peut avoir de trivial. Maurice Larrouy se donne beaucoup de mal pour ne pas sombrer dans la pantalonnade vulgaire, ni dans la pornographie. C'est tout à son honneur, mais le roman y perd en efficacité, car au final, en dépit de sa transposition exotique, « Leurs Petites Majestés » n'est rien de plus qu'un vaudeville dans les règles de l'art, si ce n'est qu'il est un peu mou et que l'auteur, apparemment conscient du caractère linéaire de son intrigue, alterne une narration classique, avec d'interminables dialogues argotiques échangés entre Goyenne et Quintard. Ces dialogues, situés au début de plusieurs chapitres, ont pour fonction de résumer l'action écoulée ou d'apporter de nouveaux éléments sous une forme un peu différente. Hélas, cette alternance, loin de briser la monotonie, la rend plus palpable : il est vrai que c'est un bateau qui vogue, qu'on y fait des galipettes la nuit et qu'on s'explique à leur sujet en journée, mais il n'y a pas grand chose d'autre à raconter.

Ceci dit, si l'on est fort peu envoûté et encore moins émoustillé, on s'amuse beaucoup en compagnie de « Leurs Petites Majestés ». Certaines scènes sont vraiment très drôles et les personnages y sont véritablement cocasses. Roman exotique sans prétention, « Leurs Petites Majestés » souffre peut être au final de ses qualités littéraires, qui laissaient entrevoir quelque chose de plus ambitieux. Or, il n'y a dans ce roman que le travail méticuleux et appliqué d'un homme qui a passé sa vie au service de l'Etat et qui ne peut s'empêcher de rester un peu guindé, même lorsqu'il décide de se laisser aller dans la paillardise et la rigolade. Il y avait là une situation dont on aurait pu tirer un roman énergique et fou, mais l'auteur n'a clairement pas voulu y brûler sa réputation, et on ne peut qu'en nourrir des regrets.

Enfin, si ce roman est avant tout humoristique et bon enfant, il ne fera sans doute pas rire tout le monde. Il faut avoir une certaine ouverture d'esprit pour faire abstraction de tout ce que ce récit peut avoir de déplaisant aujourd'hui, tant dans sa manière de traiter les femmes (à la hussarde) que de renvoyer des peuples colonisés une image tantôt infantilisée à outrance, tantôt vaguement mafieuse, mais qui toujours justifie et rend nécessaire la présence française. On peut être tenté d'y voir une propagande, mais il s'agit plus volontiers d'une naïveté et d'une inconscience, par ailleurs assez répandue chez les écrivains militaires de cette génération-là, qui, ayant endossé longuement l'uniforme, reflètent sans jamais les remettre en question les valeurs naturelles de la France coloniale, avec la fidélité candide d'un premier grand amour, sans jamais imaginer un seul instant, que la présence française puisse être ressentie par les indigènes comme intrusive et détestable. Mort précocement à la cinquantaine, en 1939, Maurice Larrouy n'a pas vu s'effondrer le rêve français indochinois. Son oeuvre porte donc la marque d'une insouciance difficile à comprendre aujourd'hui, mais qu'il ne faut pas noircir plus que de raison...

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