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MIGUEL ZAMACOÏS - « Suzanne Et Les Deux Vieillards » (1924)


Issu d'une prestigieuse famille d'artistes d'origine basque espagnole, Miguel Zamacoïs fut une petite célébrité du monde des lettres, abondamment lu depuis les années 1890 jusqu'au début de la Seconde Guerre Mondiale. Principalement connu pour des pièces de théâtre plutôt comiques, on lui doit aussi nombre de recueils de contes, de nouvelles, de pastiches, ainsi que quelques poésies et chansons joyeuses.

De cette oeuvre prolifique qui s'étale sur plus d'un demi-siècle, il faut bien reconnaître qu'il ne reste déjà pas grand chose. Il n'y a hélas pas de métier plus ingrat que de s'échiner à amuser ses contemporains. L'humour est toujours le produit d'une époque, voire d'une génération, il résiste fort mal au déroulement de l'Histoire, et heureux les Alphonse Allais, les Tristan Bernard et autres Sacha Guitry qui ont su séduire la postérité par leurs mots d'esprits intemporels.

Miguel Zamacoïs n'a pas vraiment eu cette chance, même s'il n'est pas totalement oublié non plus. L'oeuvre qui lui survit, et qui lui vaut d'être adulé dans tout le sud de la France, c'est un poème intitulé « L'Accent », un hymne à l'accent provençal qui résume assez bien son talent, mêlant une vraie tendresse humaniste à une ironie caustique et un hédonisme gai. Miguel Zamacoïs était en effet un homme joyeux et convivial, et la preuve en est précisément ce poème qui est davantage un exercice de style qu'une profession de foi, car l'accent, Miguel Zamacoïs ne l'avait pas, étant né à Louveciennes et ayant pratiquement passé toute sa vie à Paris, où il est d'ailleurs enterré. Mais s'il était joyeux, Zamacoïs était aussi quelqu'un qui se mettait en joie pour pas grand chose, et c'est sans doute ce tempérament insouciant et un peu facile qui lui a coûté sa place au panthéon de nos grands esprits.

« Suzanne Et Les Deux Vieillards » est par ailleurs un très bon exemple du talent de Zamacoïs, mais aussi de ses limites. Ce recueil qui rassemble 37 courts récits humoristiques, sans thématique particulière, montre tout ce que l'inspiration de l'auteur pouvait avoir d'inégale, voire de prévisible. Ces petites historiettes, ne reposant parfois que sur une anecdote minimale - une chute, un malentendu, une expression rigolote ou une escroquerie, un cambriolage ridicules - évoquent sur bien des points le travail d'écrivains très "vieille France" de la même époque, comme Henry Bordeaux ou Gabriel Chevallier, attachés aux moeurs françaises ancestrales, tant gauloises que chrétiennes, et aimant dépeindre des originaux, des bouffons, des ratés gentillets dans un esprit boulevardier. Peut-être d'ailleurs ces contes sont-ils nés d'idées que Zamacoïs n'a pas réussi à placer dans une de ses pièces. Toutefois, il faut reconnaître à l'auteur qu'il évite généralement quelques ficelles trop usées, comme tout ce qui touche aux moeurs, aux maris cocus, aux femmes adultères... Lorsqu'il s'y abandonne, c'est avec le souci d'y apporter un peu de nouveauté, comme dans le conte « Le Micro-Détective », où un bourgeois mondain, possédant une propriété un peu isolée où il reçoit quantité d'amis, a l'dée d'installer un petit magnétophone dans sa voiture, afin d'enregistrer les conversations de ses invités pendant que son chauffeur les raccompagne à la gare la plus proche. Il découvre horrifié que ses amis qu'il affectionne tant nourrissent envers lui le plus grand mépris et la plus mesquine jalousie, mais aussi que sa compagne le trompe avec le chauffeur, et il en conçoit un grand désarroi qui le pousse à rompre contact avec absolument tout le monde - ce qui ne le rend pas heureux non plus. La thématique n'est pas tellement nouvelle, Eugène Chavette avait écrit un conte un peu similaire soixante-ans auparavant, sur un homme dissimulé en haut d'une église, et qui découvrait affligé tout ce que ses amis disaient de lui dans son dos. Mais Zamacoïs en signe ici une version plaisante et réactualisée. « Le Lâcheur », quelques pages plus loin, brosse le portrait d'un homme passablement méfiant et caractériel qui "lâche" à peu près tout et tout le monde : son travail, sa famille, ses amantes, ses amis, et qui pour finir "lâche" la vie en se laissant mourir, mais néanmoins s'invite régulièrement aux tables des spirites, cédant à la tentation irrépressible de "lâcher" aussi l'au-delà.

Miguel Zamacoïs a du goût pour ceux qui dans la vie sont des "personnages fantasques" : marginaux, caractériels, artistes infréquentables, aventuriers... Cette fascination maintes fois mise en scène fait parfois mouche (comme avec le Lâcheur), et parfois pas, car étant lui-même l'émanation d'une société morale très rigide, Zamacoïs se passionne parfois pour des individus vaguement anarchisants, devenus finalement assez communs et archétypaux dans notre société moderne.

Au final, ce « Suzanne Et Les Deux Vieillards », originellement le titre du premier conte, pourtant peu passionnant, laisse l'impression volontiers mitigée d'un humoriste pas toujours drôle, mais qui ponctuellement, nous arrache encore de temps à autres un sourire joyeux et féroce. De plus, Zamacoïs conserve le charme de la brièveté. Même quand son histoire est ratée, elle ne nous a mobilisés que sur 4 ou 5 pages. On l'oublie sans rancune, et on passe à la suivante. Mais cependant, une fois refermée la dernière page, force est de reconnaître qu'on se souvient avec bonheur de cinq à six contes fort réussis, mais pas tellement plus. Zamacoïs fut pourtant bien plus inspiré par le passé, mais ce recueil marquant ses 30 premières années de carrière témoigne d'un auteur arrivé qui écrit avec habitude et confiance à l'attention d'un public qui lui était certainement acquis d'avance. Un siècle plus tard, tout ça se laisse lire sans déplaisir, mais le recueil semble un peu paresseux, un peu conventionnel, un peu attendu aussi. Toutefois, les amoureux d'ambiances très "vieille France" apprécieront l'immersion dans cette patrie insouciante d'il y a à peine un siècle, et qui nous apparaît déjà comme d'un temps lointain...

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