top of page

PIERRE DECOURCELLE - « Les Deux Gosses [Tome III] » (1880)


Ce troisième tome est celui où l’action principale du roman se déchaîne, où les quatre familles - Kerlor, Saint-Hyrieix, Vernier et le couple La Limace/Zéphyrine - vont chacun voir leurs existences chamboulées par une série d’évènements qui les enchaîne tous ensemble. À Tours, grièvement blessé lors de sa chute à cheval, le soldat Brisquet est transporté d’urgence à l’hôpital de la ville, où, par manque de place, il se retrouve à partager la même chambre que La Limace. Le grave traumatisme crânien dont Brisquet souffre l’empêche de bouger ou de parler, et les médecins sont pessimistes sur ses chances de survie. Eusèbe réalise vite l’avantage de disposer d’un tel voisin et, goguenard, il pille ses affaires et finit par s’emparer des lettres de Carmen que le brave soldat était allé chercher. Robert d’Alboize, rendant visite à son ordonnance le lendemain, constate l’absence des fameuses lettres et ne devine pas que c’est le compagnon de chambrée qui les a subtilisées. Sans réaliser l’importance ou la pertinence de ces lettres, Eusèbe les dissimule soigneusement et les emporte avec lui quand il quitte l’hôpital, une fois sa jambe parfaitement rétablie, en compagnie de Zéphyrine et Claudinet. Le jour même, Brisquet rend l’âme sur son lit d’hôpital, sans avoir pu désigner à Robert le voleur de ses lettres. Ceci étant dit, il ne sera plus question de ces fameuses lettres durant tout le reste de ce tome. Elles ne referont leur apparition que dans le tome suivant. La Limace et Zéphyrine décident de retourner à Paris, afin d’y réaliser quelque cambriolage qui puissent renflouer leurs finances, car la convalescence d’Eusèbe a épuisé leurs économies. De son côté, Paul Vernier et son épouse Mariana quittent Kerlor et reviennent sur Paris. Ils tentent de retrouver leur paisible vie de couple après que Paul ait appris l’ignoble relation courtisane que Mariana avait avec son mécène Silverstein. Ils profitent d’une fête nocturne pour aller écouter quelques musiciens tziganes. Charmée par cette musique dont elle ignorait tout, Mariana ressent un véritable coup de foudre pour le violoniste soliste, un virtuose de Bohème nommé Laszlo. Pour la première fois, son cœur s’éveille réellement à l’amour, même si ce sera encore une fois aux dépens de son mari. Dès le lendemain, elle s’arrange pour voir Laszlo en cachette de Paul, et le tzigane devient rapidement son amant. Animée de cette passion puérile, mais toujours désireuse de se venger de son mari, Mariana s’investit corps et âmes dans sa relation adultère, tout en puisant généreusement dans les économies de Paul Vernier. Mais bien vite, cette passion adultère se révèle périlleuse : Paul commence à s’inquiéter des absences de plus en plus répétées de Mariana, tandis que Laszlo héberge chez lui une autre maîtresse, Eugénie, demi-mondaine particulièrement jalouse, qui menace directement Mariana. Celle-ci décide alors le faible Laszlo à s’enfuir avec elle à Genève, en Suisse, où nul ne songera à les chercher. Mais soucieuse de l’avenir, elle subtilise la totalité de la fortune de Paul, soit plus de deux cent mille francs, afin de mener la grande vie avec son amant, et quitte le foyer conjugal sans même laisser une lettre pour son mari. Il se passe quelques jours avant que Paul Vernier ne réalise avec une absolue certitude la nouvelle trahison dont il a été victime. Il ne lui faut pas longtemps pour découvrir où - et avec qui - est partie Mariana. S’armant du petit révolver que Mariana a laissé à Paris, il prend le premier train pour Genève, bien décidé à assassiner son infâme épouse et son amant. Ayant finalement réussi à les retrouver dans un prestigieux hôtel de Genève, il y descend sous une fausse identité, puis un soir, armé de son révolver, il fait irruption dans leur chambre. Mais enragé, fébrile et peu habitué au maniement des armes, Paul Vernier tire deux balles qui vont se loger dans le mur. Laszlo, en revanche, familiarisé avec ce genre de situation, se déplace toujours avec une arme de gros calibre, il ne lui faut que quelques secondes pour s’en saisir et tirer à bout portant sur Paul Vernier. La balle, de type explosif, se loge dans une épaule de Paul Vernier, et y fait voler en lambeaux les chairs, les nerfs et le cartilage. Sous la douleur, Paul s’évanouit. Laszlo et Mariana en profitent pour prendre la fuite, afin d’éviter d’avoir affaire à la police suisse. Très vite, Laszlo, trouvant définitivement que Mariana est une inutile source d’ennuis, lui fausse compagnie, non sans lui subtiliser une partie non négligeable de la somme qu’elle avait volée à Paul. Puis assuré de ses vieux jours, celui-ci rentre dans sa Bohème natale… Mariana ne se laisse pas abattre, et persuadée que Paul n’a pas survécu à sa blessure, elle reprend un temps son patronyme de Mariana de Sinclair, et commence une vie de courtisane à Genève qui dure quelques mois. S’attirant la passion d’un vieux baron veuf vieillissant, elle se laisse entretenir par lui et espère bien se faire épouser. Mais le baron suisse a des enfants qui ne l’entendent pas de cette oreille, et usant de leur influence, ils font extrader Mariana par la police. Celle-ci, furieuse, retourne à Paris, et croyant toujours son mari mort, rejoint le domicile conjugal et embauche quelques domestiques, ainsi que Pélagie Crépin, son âme damnée, ex-servante et espionne chez les Kerlor. Elle décide de se concentrer sur de nouvelles stratégies pour se venger de Carmen et d’Hélène. Paul Vernier, cependant, n’est pas mort, mais c’est un homme brisé dans tous les sens du terme. La balle qui l’a atteint a rendu son bras inutilisable, ce qui l’oblige à renoncer à la sculpture. Son père, administrateur des Postes, l’enjoint à travailler pour ne pas s’abandonner au dégoût de la vie, et le fait nommer postier et facteur (une double fonction alors ouverte aux travailleurs handicapés) dans la petite ville de Moisselles, à une trentaine de kilomètres au nord de Paris. Paniquée par son prochain exil à Cayenne, où son mari a été nommé ambassadeur, Carmen multiplie les correspondances avec Robert d’Alboize, avec lequel elle voulait définitivement rompre. C’est en effet lui seul qui devra s’occuper dorénavant de leur petite Marcelle, ce qui plonge l’officier dans un douloureux problème, car il est soumis au bon vouloir du Ministère des Armées. Ces incessants allers-retours à La Poste éveillent les soupçons de Firmin de Saint-Hyrieix, qui finit par suivre subrepticement sa femme à la Poste, et s’empare brutalement de la lettre qu’elle vient de recevoir. Heureusement, pour ne pas être compromise, Carmen se faisait envoyer les lettres de Robert au nom d’Hélène de Kerlor, ce qui permettait aussi à cette dernière de les récupérer si Carmen avait un empêchement. Firmin de Saint-Hyrieix s’excuse auprès de sa femme, tout en lui demandant comment il se fait qu’elle vienne retirer une lettre pour Hélène. Paniquée à l’idée que son adultère soit découvert, Carmen prétend qu’elle sert d’intermédiaire pour une œuvre de charité dont Hélène s’occupe. Firmin en est ravi, mais comme cette lettre n’a rien de personnel, il la conserve et se propose de la remettre à Hélène en mains propres. Or, en revenant à l’appartement des Kerlor, Carmen et Firmin ont la surprise d’y retrouver Georges, qui vient de rentrer du Mexique le jour même, ayant précédé de quelques jours la lettre qui en informait sa femme. Les retrouvailles collectives sont émues, même si Georges est quelque peu tourmenté. En effet, une domestique l’a informé qu’Hélène revenait juste d’un séjour à Kerlor, où elle avait rendu visite à la Comtesse. C’est en effet le prétexte qu’avait donné Hélène à ses domestiques lorsqu'elle s'est rendue à Tours, afin de raisonner Robert d’Alboize, qui voulait arracher de force Carmen à Firmin. Or, avant de regagner son foyer parisien, Georges a passé quelques jours chez sa mère à Kerlor, et il n’a évidemment pas vu Hélène. Il soupçonne un adultère, et ses soupçons prennent corps lorsque Firmin de Saint-Hyrieix, avant de repartir avec Carmen, donne à Hélène la lettre que sa femme avait retirée à La Poste. À peine les Saint-Hyrieix ont-ils passé la porte que Georges, sur un ton menaçant, exige qu’Hélène lui remette la lettre qu’on vient de lui donner. Désireuse de préserver le secret de Carmen, Hélène refuse. Georges lui arrache alors l’enveloppe de force, et la lit, tétanisé. Il s’agit bien d’une lettre de Robert d’Alboize pour Carmen, mais selon une convention commune, aucun prénom n’y est cité, pas même celui de l’expéditeur. Il est donc impossible de prouver que cette lettre adressée à Hélène ne lui soit pas destinée. Et c’est une lettre passionnée et amoureuse, se référant à des moments sensuels partagés. Pour Georges, c’est la preuve flagrante qu’Hélène le trompe depuis des années. Pire encore, Robert fait une allusion à leur enfant commun, dont il saura s’occuper durant une longue absence : Georges croit deviner que ne l’attendant pas si tôt de retour, Hélène prévoyait de s’enfuir avec son amant et Fanfan, Fanfan qui ne serait donc pas le fils de Georges, mais le fils de ce mystérieux amant, un bâtard qui ne serait pas de son sang – et dieu sait que c’est un détail important pour un aristocrate. Fou de rage, Georges laisse éclater sa colère, injurie sa femme, la frappe durement. Celle-ci révèle alors que la lettre était pour Carmen, et que c’est Carmen qui a eu un enfant adultérin, et non elle-même. Mais après un tel quiproquo, la vérité parait invraisemblable : Carmen aurait donc depuis six ans un enfant dont personne ne connaît l’existence, y compris dans sa propre famille ? Comment croire à une pareille faribole, alors que tout accuse Hélène, y compris son voyage mensonger à Kerlor ? Georges hésite à tuer Hélène à coups de poing, mais il se contente finalement de la consigner dans sa chambre, où la pauvre femme, pétrie de douleur, ne tarde pas à tomber évanouie sur son lit. Durant la nuit qui succède, Georges, lui, ne parvient pas à dormir. Il rumine une vengeance terrible, pire même que la mort, contre l’épouse traîtresse, et cherche aussi à se débarrasser de celui qu’il pense être un petit bâtard. C’est alors qu’il entend des bruits étranges venant de l’étage en dessous de sa chambre, c’est-à-dire de son bureau privé. Se saisissant d’un révolver, il y descend silencieusement et surprend un cambrioleur en train d’essayer d’éventrer son coffre-fort. C’est Eusèbe Rouillard, dit La Limace, arrivé à Paris le matin même, et passant sa première nuit à chercher une belle propriété à cambrioler. Le hasard lui a fait jeter son dévolu sur l’immeuble des Kerlor, dans lequel il s’est introduit par une fenêtre. Georges se jette sur le cambrioleur et passe violemment sa rage sur lui, avant de le ficeler à un fauteuil. C’est alors qu’une idée abominable jaillit dans son cerveau malade. Il monte dans la chambre de son fils, et redescend délicatement avec le couffin contenant l’enfant endormi. Il détache La Limace et lui propose une affaire qu’il ne peut pas refuser. Georges pourrait en effet abattre Eusèbe, il est dans son droit. Il pourrait appeler aussi la police et la lui livrer. Il ne fera rien de tout ça. Sortant de son coffre-fort plusieurs milliers de francs, il les offre à Eusèbe en lui remettant l’enfant, et en lui faisant promettre d’élever cet enfant et de faire de ce bébé, une canaille, un criminel, un voyou, un gibier de potence semblable à lui-même, Eusèbe. Ce dernier est peu enthousiaste à l’idée d’élever un deuxième enfant aux côtés de Claudinet, déjà bien encombrant. Mais la somme proposée est colossale, et sa liberté comme sa vie lui tiennent à cœur. Il accepte cet épouvantable marché, et s’enfuit avec le petit Fanfan. À aucun moment, Georges ne réalise que c’est vraiment son fils qu’il vient d’abandonner à un aussi triste destin… Le lendemain, Georges fait résilier le bail de son immeuble, et laisse à Hélène, encore endormie, une lettre haineuse dans laquelle il lui annonce qu’il la répudie, et lui promet qu’elle ne reverra jamais son enfant. Après avoir paraphé son acte odieux, il prend le premier train pour le Havre, et repart au Mexique, non sans avoir averti sa mère à Kerlor des récents évènements, en lui enjoignant de ne plus ouvrir sa porte à Hélène, et de ne plus répondre à ses lettres. Ignorant de cette tragédie, qui garde son mystère pendant plusieurs mois, Robert d’Alboize apprend qu’il est envoyé en mission à Cayenne, avec ordre de se mettre au service de l’ambassadeur de France, qui n’est autre que Firmin de Saint-Hyrieix. Ayant trouvé porte close chez les Kerlor et n’obtenant aucune réponse de la comtesse en Bretagne, Robert se résigne à placer Marcelle en pension. Mais peu au fait de ce genre d’institut, il décide de demander quelques conseils à son ami Paul Vernier, dont il est sans nouvelles depuis quelques temps. À son domicile, il trouve son épouse Mariana, qui lui fait croire que Paul Vernier est parti en voyage. Carmen n’ayant jamais partagé avec Robert ce qu’elle avait découvert sur l’hostilité de Mariana envers elle, ce dernier n’a donc aucune raison de se méfier de Mariana. Celle-ci trouve tout à fait avantageux d’avoir sous la main la fille adultérine de Carmen, et accepte bien volontiers de placer la petite fille dans une prestigieuse pension de sa connaissance. Mais c’est en réalité dans une autre pension de banlieue nettement moins recommandable, en partie tenue par Pélagie Crépin, qu’elle fait envoyer la petite Marcelle. Privée de son père, malmenée par ses camarades et par l'odieuse Pélagie Crépin, la petite Marcelle dépérit d’ennui durant de nombreux mois dans ce triste établissement, jusqu’au jour où le fils de Pélagie Crépin, Prosper, un repris de justice devenu "pisteur" (bookmaker), métier hasardeux qui le place dans un grand besoin d’argent, qu’il vient réclamer à sa mère, en forçant la porte du pensionnat. Devant le refus de la vieille avare, le fils indigne sort un révolver et menace de la tuer. Effrayée par ce spectacle devant lequel elle tombe par hasard, Marcelle s’enfuit en courant. Le petit voyou ayant laissé la porte du pensionnat ouverte, la petite fille terrifiée sort de l’établissement, s’engage dans les ruelles, et disparaît aux yeux de ses poursuivants… De son côté, Fanfan, devenu le deuxième enfant de La Limace et Zéphyrine, grandit à coups de taloches, en compagnie de Claudinet, duquel il devient véritablement un petit frère. N’ayant gardé aucun souvenir de sa vie chez les Kerlor, excepté le surnom « Fanfan » qu’on lui donnait, le jeune garçon est formé par un Eusèbe étonnamment scrupuleux à réaliser le souhait de son bienfaiteur. Mais de par sa nature aristocratique, dont il est ignorant mais qui conditionne son caractère, Fanfan se refuse absolument à voler quoi que ce soit, malgré les innombrables coups de poings et coups de pieds qu’il reçoit tantôt d’Eusèbe, tantôt de Zéphyrine. Un soir, alors que le couple de monstres cuve son alcoolisme dans un sommeil de plomb, Fanfan et Claudinet faussent compagnie à leurs bourreaux et passent la nuit entière à mettre entre eux le plus de kilomètres possible. Alors qu’ils traversent un jardin, Fanfan bute sur un corps allongé. Il s’agit de la petite Marcelle, qui, après des heures de course effrénée, s’est allongée pour dormir, dans un état d’épuisement tel que le choc ne l’a même pas réveillée. Suivant Claudinet, Fanfan prend Marcelle dans ses bras, et tous deux cherchant un havre de paix, finissent par s’installer par effraction au petit matin dans une maison fraîchement construite et pas encore habitée. Une fois Marcelle éveillée, les trois enfants sympathisent et organisent leur petite vie dans la maison déserte, où quelques ustensiles de cuisine et une bourse dérobée par Claudinet à la Limace leur permettent de vivre quelques temps. Mais le but des deux garçonnets est avant tout de vivre honnêtement, de chercher un travail, et de louer une maison qui soit bien à eux. Parcourant la banlieue nord de Paris, ils commencent une errance quotidienne de quelques mois à la recherche d’un emploi. Mais Fanfan et Claudinet, vêtus de haillons et portant sur leurs visages les marques de leur maltraitance, ressemblent déjà à deux petits voyous et n’inspirent pas confiance. On les congédie sans aménités, quand on ne les fait pas fuir à coups de balai. Seule une jeune femme blonde, habitant seule une maison décrépite, une jeune femme portant sur son visage la marque d’un immense chagrin et d’une grande bonté, leur fait l’aumône de quelques pièces et les engage à revenir la voir, si jamais ils ne trouvent rien. Cette jeune femme, qui se fait appeler Hélène Gérard, c’est en réalité Hélène de Kerlor, qui vit dans la solitude et la précarité dans une masure misérable depuis son injuste répudiation. Elle ne le sait pas, mais elle vient alors de croiser cet enfant qu’on lui a volé, et qu’elle n’a pas pu reconnaître tant sa dure existence l’a rendu méconnaissable. Finalement à bout de leurs finances, et désespérant de trouver un travail honnête, Fanfan et Claudinet décide de céder à une suggestion de Marcelle : celle-ci se souvient bien de Mariana Vernier, et de son adresse à Paris. Pourquoi ne pas rendre visite à cette brave dame, qui pourra certainement les aider ? Aussitôt dit, aussitôt fait. Les trois enfants quittent leur maison et consacrent leurs dernières pièces à l’achat de billets de train pour Paris. Mais une fois qu’ils sont arrivés devant chez Mariana, Claudinet, étant le plus âgé, propose d’aller d'abord sonner en éclaireur. Il est reçu fraîchement par Mariana, qui s’imagine avoir affaire à un petit mendiant qui fait du porte à porte. Mais quand Claudinet explique savoir où est Marcelle, le sang de Mariana ne fait qu’un tour, elle appelle Pélagie, et lui ordonne d’attraper cet enfant. Effrayé par l’expression haineuse de Mariana et par le hideux faciès de la vieille fille, Claudinet fait demi-tour en courant. Attrapant Fanfan et Claudinet par le bras, il les enjoint à courir le plus vite possible. Mais les enfants ne galopent que quelques dizaines de mètres. Alors qu’ils s’apprêtent à passer un angle de rue, Fanfan et Claudinet sont brutalement saisis au collet par La Limace et Zéphyrine, qui, les ayant reconnus de loin, s’étaient mis là en faction. Alors qu’Eusèbe tend son autre main pour se saisir de Marcelle, la petite fille, terrifiée, se jette en arrière et s’enfuit en courant… Aucun de ces drames ne parvient jusqu’à la lointaine terre de Guyane, où Carmen de Saint-Hyrieix dépérit d’ennui dans cette colonie morne, voisinant dangereusement avec le célèbre bagne de Cayenne, où sont enfermés les plus dangereux criminels de France. Firmin, nommé ambassadeur, se sent enfin important. Deux visites vont pourtant bouleverser leurs existences. D’abord, celle de Georges de Kerlor, qui leur rend visite depuis le Mexique, sentant bien qu’une explication est nécessaire, mais il en donne à Carmen sa version à lui : Hélène et Fanfan seraient tous deux morts d’une fièvre foudroyante. Carmen est naturellement effondrée par la disparition de sa meilleure amie, et se demande si Robert sait qu'il ne pourra plus compter sur cette précieuse alliée. Néanmoins, Georges révèle à part la vérité à Firmin de Saint-Hyrieix, à la seule fin qu’il empêche le moindre courrier d’Hélène de parvenir jusqu’à Carmen. Effectivement, Hélène n’a bientôt de cesse d’écrire à Carmen pour la supplier d’intercéder pour elle auprès de son frère, mais docile et apeuré par la perspective d’un scandale, Saint-Hyrieix détruit les lettres d’Hélène sans en informer Carmen. Une fois Georges reparti au Mexique, c’est Robert d’Alboize qui rejoint l’ambassade de Cayenne, à la demande expresse de Firmin de Saint-Hyrieix, qui redoute une tentative de révolte de la part des bagnards. En effet, l’un d’eux, nommé Panoufle, se révèle à la fois un provocateur et un leader d’influence auprès des autres bagnards. Ce Panoufle n’est d’ailleurs pas un inconnu des lecteurs : il s’agit de Casimir Mulot, l’ex-complice de la Limace, arrêté lors d’une tentative avortée de cambriolage en Bretagne, au début du tome précédent. S’il est expliqué que le personnage a changé de nom, on ne dit pas vraiment pourquoi, mais on le devine : Mulot est un nom commun, et il est probable que Pierre Decourcelle a dû recevoir un certain nombre de courriers aigres de lecteurs appelés Casimir Mulot qui n’ont pas apprécié de voir leur patronyme si mal représenté dans un feuilleton à succès. En choisissant de rebaptiser son personnage du nom incongru de « Panoufle », Decourcelle était sûr de ne pas avoir à nouveau à subir ce genre de pressions. Il est à noter cependant que, suite au succès du roman, Pierre Decourcelle tirera une pièce de théâtre à succès de son récit, où le personnage de Panoufle sera à nouveau baptisé Mulot, ce qui semble confirmer que l'auteur ne souhaitait pas spécialement rebaptiser son personnage à la base et a été contraint de le faire. Face donc à un risque de mutinerie, Saint-Hyrieix, qui possède une bonne armée mais un médiocre exécutif, tenait à ce que d’Alboize puisse prendre le commandement en cas de révolte. Mais Robert d’Alboize, dans un premier temps, attrape surtout une maladie tropicale. La fièvre le fait délirer durant des jours, et il est sauvé in extrémis de la mort par les soins attentionnés de Carmen. Saint-Hyrieix, toujours satisfait que sa femme trouve une occupation, se réjouit de cette issue heureuse. On se souvient que Carmen ne voulait pas renouer la moindre relation avec Robert, mais l’indécrottable naïveté de son mari semble vouloir réduire à néant cette bonne volonté. Ayant de plus appris que Robert a remis Marcelle entre les mains de Mariana, dont il ignorait la vilénie, Carmen a bien besoin d’être rassurée, puisque ni elle, ni Robert ne peuvent revenir en France dans l’immédiat pour venir en aide à leur fille. Aussi les deux amants reprennent-ils leur passion adultère, avec un manque éloquent de discrétion. Il ne servirait hélas à rien d’être discret. Désormais persuadée qu’elle ne pourra jamais retrouver Marcelle, Mariana a tout intérêt à ce que Carmen et Robert disparaissent le plus vite possible. Elle écrit donc une très longue lettre à Firmin de Saint-Hyrieix, révélant tout ce qu’elle sait de la relation adultère de Carmen et de Robert, joignant à son courrier les lettres subtilisées dans la chambre de Carmen (Voir Tome I). De peur que cette dernière ne puisse détruire la lettre avant que Saint-Hyrieix en ait connaissance, Mariana l’envoie à Cayenne en poste restante. Lorsque quelques semaines plus tard, Saint-Hyrieix découvre, en sortant du bureau de poste, à quel point il fut le dindon de la farce, son premier réflexe est de se rendre au bungalow où habite d’Alboize. Il découvre alors Carmen et Robert s’embrassant langoureusement, presque à la vue de tous. Firmin de Saint-Hyrieix dégaine alors son épée et défie en duel Robert d’Arboize, lequel de son côté aime autant que les choses se terminent ainsi, certain de pouvoir vaincre facilement son adversaire. Mais à peine les fers se croisent-ils que, se jetant entre les deux hommes, Carmen tente de les arrêter. L’épée de son mari lui rentre alors dans la gorge, et la jeune femme s’effondre inconsciente. Robert n’a pas le temps de lui venir en aide : fou de rage, Saint-Hyrieix multiplie les attaques, et finit contre toute attente, par enfoncer son épée dans le flanc de Robert d'Alboize, qui s’effondre à son tour. Exultant de rage meurtrière, Saint-Hyrieix abandonne les deux corps qu’il croit agonisants, et remonte avec aux lèvres la satisfaction de savoir son honneur lavé de toute souillure, lorsqu’il tombe au détour du chemin devant une dizaine de bagnards fraîchement évadés, et ayant pillé l’arsenal. Au milieu d’eux, Panoufle reconnait en Saint-Hyrieix la figure haïe de l’ambassadeur de France. Il dégaine son révolver et abat Firmin de Saint-Hyrieix d’une balle en pleine tête. N’étant en réalité que blessé, Robert d’Alboize a entendu le coup de feu et les hurlements des bagnards. Il parvient à se traîner jusqu’à la caserne, à donner l’alerte et à donner des ordres efficaces pour que la révolte soit matée le plus efficacement possible, tandis que quelques infirmiers partent chercher Carmen qui, elle aussi, n’est que blessée, et sera sauvée in extrémis de la mort. C’est le début d’une longue digression du récit, totalement dispensable mais néanmoins passionnante : Panoufle et six autres bagnards, comprenant que la partie est perdue, s’enfoncent dans l’épaisse jungle, en direction de l’ouest, vers le fleuve Maroni et la Guyane néerlandaise (aujourd’hui : le Suriname), afin de ne plus pouvoir être rattrapés par l’armée française. La jungle guyanaise est grandement hostile, et la progression des évadés est longue et douloureuse. Au fur et à mesure, la plupart d’entre eux vont périr, tués par les bêtes sauvages, engloutis dans les sables mouvants, dévorés par les mouches tsé-tsé et les fourmis rouges, anéantis par le scorbut ou la folie. Seule une poignée, dont le colosse Panoufle, parviennent jusqu’au fleuve Maroni, où ils sont embarqués par un navire de contrebande américain qui y naviguait au moment où ils ont débouché de la jungle. Le capitaine John Blascow ne leur cache pas qu’ils les a moins recueillis par charité que parce qu’il manque de membres d'équipage. Bien qu’ils soient épuisés par des jours et des jours de marche dans la forêt, les trois survivants acceptent de s’engager. Mais Panoufle ne tarde pas à comprendre que si tant de marins manquent à l’équipage, c’est parce que le capitaine est un tyran sadique, qui n’hésite pas à jeter par-dessus bord tous ceux qui ne se soumettent pas à ses ordres et à son rythme de travail. Fort de son expérience dans la révolte du bagne, Panoufle ne met que quelques jours à fédérer autour de lui tous les marins du bord, et même le quartier-maître qui rêve de prendre la place du capitaine. Lorsque la mutinerie éclate, Panoufle tue lui-même à coups de hache l’homme qui l’a sauvé. Il faut dire que Panoufle tient à récupérer ses papiers d’identité avant de confier sa dépouille aux crocodiles. Contrairement aux autres évadés qui veulent rester sur le continent américain ou au sein de l’équipage pour tenter leur chance, Panoufle, lui, veut rentrer en France pour retrouver ses vieux amis, La Limace et Zéphyrine, et il a besoin pour cela de nouveaux papiers et d’une nouvelle identité : celle du citoyen américain John Blascow… Ce troisième tome des « Deux Gosses » est assurément magistral et peut compter parmi les chefs d’œuvre absolus du roman-feuilleton, même si, en y regardant de près, on remarquera que les jointures ne sont pas forcément très solides. Il n’empêche, Pierre Decourcelle fait exploser en bouquets de feux d’artifices toutes les intrigues qu’il a patiemment tissées durant les deux premiers tomes. Cette soudaine logorrhée d’action, de drames, de batailles et d’aventures exotiques fait irruption au beau milieu d’un récit sentimental qui était encore très atmosphérique, très centré sur les interactions de diverses dissimulations et secrets. Certes, cette débauche d’action frénétique s’accompagne inévitablement d’effets un peu "hénaurmes", de coïncidences aux grosses ficelles, de réactions un peu trop bipolaires chez certains personnages, et d’une débauche parfois risible de morts-qui-ne-sont-pas-vraiment-morts. Il faut hélas souvent sortir du réalisme pour accoucher d’un bon rebondissement totalement imprévisible. Le plus gros défaut de ce tome, dont l’action s’étale sur plusieurs années, est sans doute le flou temporel savamment entretenu qui cache bien mal de nombreuses incohérences entre les groupes de personnages : ainsi, enlevé alors qu’il était encore en bas-âge, Fanfan grandit beaucoup plus vite que Claudinet ou Marcelle. De nombreuses années se passent entre son enlèvement et son échappée avec Claudinet, alors que seulement quelques mois séparent l’arrivée de Marcelle dans sa pension et son évasion. En réalité, Fanfan, plus âgé que Marcelle, aurait dû être beaucoup plus vieux quand Georges le confia à la Limace, mais ce dernier n’aurait pas pu l’emmener en le portant sous le bras sans qu'il s'éveille. D’autres repères chronologiques, plus mineurs, sont aussi un peu incohérents. Mulot en devenant Panoufle change de nom, mais aussi de personnalité : le grand colosse bêta rencontré par Eusèbe à la fin du premier tome a laissé sa place à un leader charismatique et sans états d’âme, trait qui sera conforté dans les tomes suivants. Certes, le séjour en prison ou au bagne a pu mûrir précocement le Mulot un peu effacé des débuts, mais on a plutôt le sentiment qu’au dernier moment, Pierre Decourcelle a eu l’idée de fusionner deux personnages qui initialement devaient être distincts, sans se formaliser sur les incohérences de caractères. Ces quelques maladresses mises à part, ce troisième tome procure bien des émotions hautes en couleur, pour peu qu’on s’y laisse prendre. Bien qu’il soit hélas bien plus long que je l’escomptais, mon résumé ne retranscrit que faiblement la toile machiavélique au sein de laquelle la pauvre Hélène de Kerlor, seule âme pure et irréprochable de ce récit, se retrouve engluée sans aucun moyen de se défendre. Ce piège dans lequel elle se laisse prendre, par trop de bonté d’âme et trop de dévouement, est l'émouvant résultat d'une magistrale architecture narrative. Enfin, pour terminer, ce roman, écrit en 1880, témoigne particulièrement dans ce troisième tome d’une violence envers les enfants qui est aujourd’hui extrêmement choquante pour les âmes sensibles. Point de fessée ici ou de gifles : Fanfan et Claudinet sont constamment battus à coup de poings, à coups de pieds, à coups de bâtons, jusqu’à en être assommés, à en saigner du nez ou de leurs lèvres éclatées. Sans doute Pierre Decourcelle en fait-il un peu trop à la seule fin de susciter l’empathie, d’autant plus qu’Eusèbe et Zéphyrine sont, en dehors de cette débauche de violence, d’assez sympathiques fripouilles, dont la suffisance, la morale à géométrie variable et l’absence de remords sont perpétuellement des sources d’ironie mordante. Pierre Decourcelle est de toute façon bien plus fasciné par ses personnages négatifs. En plus de ce couple de bourreau d’enfants, la perverse et cruelle Mariana reste aux yeux de l’auteur un puissant objet de fantasme, face auquel les personnalités pleurnichardes et plus ternes d’Hélène ou de Carmen semblent parfois hâtivement brossées. Panoufle, dernier arrivé, impressionne par sa détermination cruelle, ses ressources, son aptitude à écraser toute adversité. « Les Deux Gosses » se révèle dans ce troisième tome, un roman-feuilleton mélodramatique qui fait la part belle aux fripouilles et aux criminels, célébrant leur autodétermination anarchiste avec une joie féroce, entre deux bien hypocrites leçons de morale volontiers paroissiales. Au final, chacun peut voir dans ce roman le moralisme réactionnaire ou la subversion nihiliste qu’il s’attend à y trouver. Ce contraste forcément ironique, servi par un roman-fleuve qui autorise toutes les digressions, n’est pas pour rien dans le charme persistant de ce récit pourtant grandement désuet. LES DEUX GOSSES (Critiques et Résumés) : Tome 1 : https://www.mortefontaine.org/post/pierre-decourcelle-les-deux-gosses-tome-i-1880 Tome 2 : https://www.mortefontaine.org/post/pierre-decourcelle-les-deux-gosses-tome-ii-1880 Tome 4 : https://www.mortefontaine.org/post/pierre-decourcelle-les-deux-gosses-tome-iv-1880 Tome 5 : https://www.mortefontaine.org/post/pierre-decourcelle-les-deux-gosses-tome-v-1880

5 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments

Rated 0 out of 5 stars.
No ratings yet

Add a rating
Post: Blog2_Post

© 2022 par Mortefontaine. Créé avec Wix.com

bottom of page