Le récit revient à Hélène de Kerlor, que l’auteur avait presque autant abandonnée que son mari. Après avoir déménagé de sa maison misérable et s’être installée un temps à Paris, après avoir aussi recueilli une petite fille trouvée pleurant en pleine rue, qui n’est autre que la petite Marcelle, venant juste de s’échapper des griffes de La Limace et Zéphyrine, la jeune femme s’est lancée dans une longue quête pour retrouver son fils parmi la pègre francilienne, avec l’aide attentionnée mais pessimiste de la police impériale. Sa quête de prison en prison, d’orphelinats en maisons de correction, l’amène à visiter un institut charitable de Moisselles, qui tente d’éduquer et de remettre dans le droit chemin des enfants délinquants. L’excellente qualité de contact qu’elle ressent avec le personnel de la direction de cet établissement - des gens charmants, dévoués et sincèrement émus de son drame personnel - lui font comprendre qu’en dehors de la sienne propre, il y a bien des misères en ce bas-monde. Comme par ailleurs, l’institut manque de collaborateurs, elle accepte leur proposition de travailler pour eux, d’autant plus qu’elle peut ainsi décemment élever Marcelle comme sa propre fille. Elle loue ensuite une maison voisine à l’institution, dont elle fait une dépendance de l’institution, tout en envoyant Marcelle dans une pension pour la scolariser, suite à une étrangé méningite qui manque d'emporter la petite fille. Fatalement, l’ex-sculpteur Paul Vernier, devenu postier et facteur de Moisselles, est amené bientôt à rencontrer cette prétendue Hélène Gérard, devenue nouvelle collaboratrice de l’institution d’aide aux enfants criminels. Quel n’est pas sa surprise de reconnaître Hélène de Kerlor, qu’il pensait morte suite aux déclarations mensongères de son mari. Entre l’artiste abandonné par sa femme et l’épouse rejetée par son mari, une amitié affective nourrie de leurs douleurs réciproques naît et se développe au fil des jours. Chez Paul, dont le cœur malmené n’est pas tout à fait mort, cette amitié devient vite un amour intense mais résigné. Hélène, de son côté, ne peut ressentir pour Paul qu’une amitié chaste et fraternelle : mariée devant Dieu, elle ne peut qu’appartenir à Georges, même s’il ne veut plus d’elle, et elle reste d’ailleurs profondément éprise de son mari, malgré tout le mal qu’il lui a fait. De leur côté, Fanfan et Claudinet sont à nouveau tombés dans les griffes de la Limace et de Zéphyrine, mais aussi de Panoufle, fraîchement revenu de Guyane avec son identité américaine toute neuve. Les mauvais traitements de ces sinistres parents d’adoption redoublent d’autant plus que les affaires sont difficiles, que l’argent se fait rare et que les trois brigands sont à couteaux tirés entre eux. Si Claudinet se résigne à retourner à cette existence infâme, qu’il sait de toutes manières bientôt finie à cause de la maladie qui le ronge, Fanfan, lui, ne se fait pas à cette prison roulante. Un matin, la rencontre fortuite devant un commerce d’un médecin administratif le pousse à lui parler de ses difficiles conditions de vie, et spécifiquement de celles de Claudinet. Accompagné de deux policiers, le médecin fait irruption dans la roulotte des brigands et examine Claudinet, qu’il diagnostique dans un état alarmant. Il le fait hospitaliser d’office dans une clinique pour nécessiteux, puis avertit ses parents que s’il ne peut leur soustraire Fanfan, qui est en bonne santé, toute constatation de violence sur l'enfant dans les semaines qui viennent entraînera immédiatement l’incarcération des trois fripouilles. Quant à la roulotte, elle est désormais placée sous la surveillance quotidienne de deux policiers. Zéphyrine et Panoufle enragent, et ne songent qu’à se défouler sur Fanfan, mais la Limace, plus intelligent, leur recommande de prendre leur mal en patience. La Limace repense en effet aux lettres qu’il a substituées au pauvre Brisquet à l’hôpital de Tours. Ces lettres sont signées de Robert d’Alboize, et il se dit que ce monsieur d’Alboize qui vivait une romance avec une femme mariée, payerait sans doute très cher pour récupérer une correspondance compromettante. En réalité, Robert d’Alboize et Carmen de Saint-Hyrieix filant désormais le parfait amour au grand jour, depuis la mort en Guyane de Firmin de Saint-Hyrieix, cette correspondance amoureuse n’a plus guère de valeur, puisque les deux tourtereaux n'ont plus rien à dissimuler. Ils ont d'ailleurs loué un petit hôtel particulier à Paris, et y ont accueilli Georges de Kerlor, de retour d’une longue errance au Mexique, plus dépressif que jamais. Celui-ci révèle finalement à Robert et Carmen qu’Hélène et Fanfan ne sont pas morts, mais que George les a chassés en découvrant la correspondance qu’Hélène avait avec son amant. Robert et Carmen comprennent alors, effarés, que c’est leur propre correspondance qui a causé la perte d’Hélène. Ils tentent d’expliquer la vérité à Georges, mais celui-ci refuse de les croire, s’enfonce dans le déni, tant l’éventualité de l’innocence d’Hélène l’écraserait d’une culpabilité tellement atroce qu’il n’y survivrait pas. Aussi quand La Limace contacte Robert d’Alboize pour négocier sa correspondance volée avec Carmen, Robert est-il malgré tout intéressé, dans l’optique de convaincre Georges qui reconnaîtrait forcément le ton et l’écriture de Robert tels qu’il les avait lus dans la lettre adressée à Hélène. Bon, on se demande un peu pourquoi il n’improvise pas quelques mots sur une feuille blanche sous les yeux de Georges de Kerlor, ce qui reviendrait au même, mais passons... Malheureusement, la transaction ne pourra avoir lieu. La Limace avait dissimulé ses lettres dans un petit cartable où, un jour, en cherchant autre chose, Fanfan les a trouvées, partiellement lues et, ému, pressentant que La Limace avait fatalement de mauvaises intentions en rapport avec cette correspondance, il la subtilisa et la cacha au sein de son matelas, qui fut ensuite laborieusement recousu. La disparition de ces lettres plonge dans une même rage La Limace et Panoufle, qui s’accusent mutuellement de s’en être emparé pour négocier seul leur vente. Mais quand il devient effectif que Robert d’Arboize attend toujours ses lettres, les deux hommes comprennent qu'elles ont été subtilisées par une troisième personne, qui ne peut être que Fanfan. Le battre ne servirait à rien, ils le connaissent suffisamment bien pour être certain qu’il ne parlerait pas. Mais tous deux sont d’avis que Fanfan ne leur rapporte décidément que des ennuis et qu’il doit disparaître. Profitant d’une journée où Fanfan s’absente, ils mettent au point un plan pour le soir-même, un cambriolage mûri de longue date, mais dont ils savent qu’il sera difficile de ne pas éveiller le propriétaire. Leur idée est d’emmener Fanfan avec eux, de le tuer, puis de tuer ensuite le propriétaire, et enfinde disposer les corps de façon à ce que l’on croit que Fanfan était un jeune cambrioleur surpris par l’homme qu’il voulait voler, et que tous deux se sont entretués. Hélas pour eux, Fanfan leur trouvant à tous deux une tête bizarre, il n’a fait que feindre de s’en aller et s’est glissé sous la roulotte pour entendre leur conversation. Il apprend donc ainsi les funestes projets le concernant, et décide de s’enfuir une nouvelle fois. Seulement, cette fois-ci, point de Claudinet, de victuailles et de menue monnaie. Le garçonnet court dans la nuit, traîne dans le Paris nocturne, puis finit par s’endormir au pied d’un arbre sur les Champs-Élysées. Au petit matin, il est interpellé par un agent de police qui l’arrête pour vagabondage. Il serait si simple à Fanfan de raconter toute son histoire au commissariat. Mais outre qu’il craint de ne pas être cru, et d’être ramené à la roulotte de La Limace et Zéphyrine, la perspective inverse, c'est-à-dire que les agents le croient et qu’ils aillent arrêter sur le champ Eusèbe, Zéphyrine et Panoufle pour les envoyer à la guillotine, lui pose aussi un problème de conscience. Aussi refuse-t-il obstinément de révéler quoi que ce soit sur sa famille aux policiers qui le questionnent. Il prétend également s’appeler Claude, afin que personne ne songe à lui si la Limace ou Panoufle viennent déclarer sa disparition. Cette attitude butée achève de convaincre les agents du commissariat qu’ils ont affaire à un jeune délinquant peut-être orphelin. Ils l’envoient donc à La Petite Roquette, la célèbre prison pour mineurs du XIXème siècle, aujourd’hui détruite et remplacée par le square de la Roquette. Là, l’enfant va passer de terribles semaines, avant que sa tristesse et sa docilité face à l’autorité ne le fassent remarquer par l'aumonier de la prison. Celui-ci décide d’envoyer Fanfan dans l’institution morale de Moisselles, où il ne tarde pas à être remarqué à son tour par Hélène qui, sans être à même de le reconnaître, près de dix ans après son enlèvement, se sent étrangement émue par ce jeune garçon dénommé Claude qui ressemble si peu aux autres petits délinquants, et qui semble sincèrement désireux de s’instruire, de travailler et de rentrer dans le droit chemin. Au fil des mois, tandis qu’à force d’éducation, la véritable nature aristocratique de Fanfan refait surface, au point que la confiance étant de plus en plus profonde entre Fanfan et Madame Gérard, elle finit par demander et obtenir le droit d’emménager avec lui dans sa maison. Cette demeure a, de plus, l’avantage de disposer d’un grand jardin, ce qui convient à Fanfan qui voudrait devenir jardinier. Mais cela le rend hélas visible de l’extérieur. C’est ainsi qu’un jour, il a la mauvaise surprise de découvrir de l’autre côté du portail les trognes abjectes de La Limace, Panoufle et Zéphyrine qui, après bien des recherches, ont fini par retrouver sa trace. Ceux-ci le narguent et lui promettent de lui mettre très prochainement le grappin dessus… Terrifié, Fanfan n’ose pas parler à Hélène de cette menace planant sur leur tête. Mais quelques jours plus tard, un soir qu’Hélène feuillette avec nostalgie un album où se trouvent réunies quelques gravures du château de Kerlor, Fanfan tombe en arrêt devant l’une de ces gravures, et de sa bouche s’échappe alors instinctivement un nom jusque là bloqué dans sa mémoire : « Kerlor ». Hélène comprend alors que ce jeune garçonnet qui se faisait appeler Claude est bien Fanfan, son fils qui lui a été volé 9 ans plus tôt. Et si un doute subsistait encore dans son esprit, l’entrée fort à propos d’une domestique tenant par la main la petite Marcelle, invitée pour la première fois dans la maison de sa mère adoptive, enlève toute ambiguïté : Marcelle reconnaît immédiatement le petit Fanfan avec lequel elle s'est retrouvée quelques temps en vadrouille. De bien belles retrouvailles pourraient alors se faire, si brusquement, un violent incendie ne se déclenche dans la maison. Les voisins se précipitent, les pompiers arrivent bientôt à temps pour évacuer les personnes, mais à peine Fanfan met-il un pied hors de la maison que, profitant des ténèbres, trois paires de bras experts en subtilisation l’entraînent dans la nuit… La Limace, Panoufle et Zéphyrine sont ceux qui ont allumé cet incendie criminel, mais ils ont également profité de la panique pour vider le coffre fort et le coffret à bijoux d’Hélène, autant par rapacité que pour compromettre Fanfan, dont la disparition, simultanément au vol et à l’incendie, amèneront la suspicion sur sa personne, et l’empêcheront de s’enfuir à nouveau et de rejoindre Moisselles. Certes, Hélène de Kerlor ne croira jamais que Fanfan a volé ses bijoux, mais la police, elle, en est rapidement persuadée, tout comme l’institution pour laquelle travaille Hélène, et même comme Paul Vernier qui, en dépit du chagrin d’Hélène, n’est que modérément convaincu que ce petit Claude soit bien le fils d’Hélène. Paul Vernier a, de plus, bien d’autres choses à penser. La rencontre fortuite d’un ancien collègue sculpteur lui apprend, médusé, qu’il est désespérément recherché par le tout Paris. Son ancien commanditaire, et le premier amant de son épouse Mariana, l'odieux Silverstein, s’est compromis dans des affaires malheureuses. Criblé de dettes impossibles à rembourser, il a été arrêté par la police et tous ses biens ont été saisis. Les experts chargés de l’estimation ont alors découvert chez lui les très nombreuses sculptures et bas-reliefs de Paul Vernier, commandés par Silverstein afin de se laisser le champ libre pour dévergonder son épouse. On hurle alors aux chefs d’œuvre, et on cherche depuis plusieurs mois à retrouver ce sculpteur de génie, injustement méconnu, dont plus personne n’a de nouvelles depuis des années, sans imaginer évidemment qu’il soit devenu un postier handicapé de grande banlieue… La brusque renommée qui s’abat sur Paul Vernier, et qui lui redonne tout son prestige d’artiste, même s’il ne pourra plus jamais rien sculpter d’autre à cause de la balle de Laszlo qui lui a brisé l'épaule, distrait un peu Hélène de son chagrin d’avoir de nouveau perdu Fanfan, et elle s’affiche presque à ses côtés comme si elle était la compagne officielle de Paul, ce qui suscite des ragots malveillants parmi la population de Moisselles. De son côté, Fanfan renoue dramatiquement avec la vie misérable auprès d’Eusèbe La Limace, Panoufle et Zéphyrine, même si leur existence s’est un peu améliorée. La mort brutale du vieux cheval qui, depuis des années, tirait la roulotte, les a contraints à se livrer à un cambriolage risqué mais qui s’avère extrêmement payant. La substantielle fortune qu’ils en tirent leur permet de louer un appartement spacieux, dissimulée au fond d’une arrière-cour, protégée des regards extérieurs par un épais portail. Claudinet, dont l’état s’est fortement amélioré durant ses mois d’hospitalisation, a fini par être jugé suffisamment en bonne santé pour être renvoyé chez ses parents. Bien que cette perspective le désole, surtout lorsqu’il constate que Fanfan s’est enfui, il profite avantageusement de pouvoir dormir dans un vrai lit, dans une chambre chauffée par une cheminée. Quand la Limace et Panoufle ramènent à son tour le malheureux Fanfan, une vague de désespoir s’abat sur les deux enfants, mais heureusement pour eux, un visiteur inattendu va soudainement changer leurs perspectives quelques jours plus tard. En effet, sans en parler à personne, Georges de Kerlor, s’il n’a pas été convaincu par les confessions de Robert et Carmen et ne peut se résoudre à croire à l’innocence d’Hélène, a néanmoins longuement réfléchi sur ses actes, et il a tardivement pris conscience que l’action criminelle commise envers Fanfan, même si cet enfant n’est pas le sien, est viscéralement injuste et cruelle, et sans en parler à Robert et Carmen, il décide de retrouver Eusèbe La Limace pour lui racheter l’enfant. Un tel surnom n’a rien de banal, et le voyou à sa petite réputation dans le milieu parisien. En distribuant des billets de-ci de-là, Georges parvient à retrouver la trace d'Eusèbe, et à découvrir leur domicile. Muni d’une arme, d’un chéquier et de beaucoup de morgue, gardant un souvenir très vif du cambrioleur lâche et veule qu’il avait surpris dans son bureau neuf ans plus tôt, Georges s’invite un soir chez Eusèbe et Zéphyrine et expose sa demande au couple de voyous. Hélas pour lui, Georges n’avait pas prévu avoir affaire à un troisième larron : Panoufle. Si Georges a parfaitement jugé Eusèbe et sa moitié, de petits voyous sans envergure toujours facilement impressionnés par un aristocrate qui en impose, il méjuge Panoufle, lequel est un brigand de haut niveau, évadé de Cayenne, et surtout hantée de pensées anarchistes et régicides. D’entrée de jeu, il décide que Georges ne va pas donner seulement les vingt mille francs qu’il propose, mais il va lâcher toute sa fortune, et pour l’en convaincre, il va le maîtriser, l’attacher et le torturer jusqu’à ce qu’il cède. Et une fois qu’il aura cédé et signé un chèque au porteur couvrant toute sa fortune, il n’y aura plus qu’à l’exécuter… Georges, craignant des complications, était venu armé, mais face à la montagne de muscles que représente Panoufle, parfaitement rompue par ailleurs au corps-à-corps, il est facilement désarmé, assommé puis attaché au pilier central pilier d’une sorte de remise sans fenêtre à l'étage, où Panoufle se propose de le torturer la nuit entière. De loin, Fanfan et Claudinet ont assisté à cette scène brutale, avant que Panoufle ne les envoie sévèrement aller se coucher dans leur chambre. Mais Fanfan a pu comprendre que Georges était son père et qu’il était venu le racheter à ces voyous. Subrepticement, pendant qu’au rez-de-chaussée, Panoufle et La Limace vident une bonne bouteille histoire de se donner du courage pour leur sinistre besogne, Fanfan se glisse jusqu’à Georges de Kerlor, armé d’une petite lame avec laquelle il coupe ses liens. Puis il ramène Georges en catimini dans la chambre qu’il partage avec Claudinet, située elle aussi à l’étage de la maison, et lui propose de s’enfuir par la fenêtre, en passant par le toit. Fanfan voudrait ramener Claudinet avec lui dans cette fuite salvatrice, mais s’il va mieux, Claudinet n’est pas en condition physique suffisamment bonne pour se risquer à de telles acrobaties. Il propose donc de rester sur place, et demande à Fanfan de revenir le chercher plus tard. Fanfan et Georges de Kerlor ont à peine atteint la rue quand Eusèbe et Panoufle s’aperçoivent de leur évasion. Une longue course poursuite s’engage dans les rues nocturnes de Paris, mais Georges et Fanfan finissent par échapper à leurs poursuivants. Une fois rentré chez lui, Georges présente brièvement Fanfan à Robert et Carmen, comme un orphelin dont il aurait décidé de s’occuper afin de se changer les idées. Puis, après quelques heures de sommeil, il décide de partir sur le champ en Bretagne, au château de Kerlor, par le premier train du matin, afin d’échapper aux poursuites éventuelles de La Limace et Panoufle. Revenu finalement au château de Kerlor pour la première fois depuis son plus jeune âge, Fanfan va être confronté avec émotion à ses plus anciens souvenirs… Quatrième tome des « Deux Gosses » de Pierre Decourcelle, ce nouveau pavé d’un millier de pages marque un net apaisement de l’action, et va voir l’auteur tisser avec une certaine complexité les rencontres ou les retrouvailles de ses différents personnages qui, jusque là, menaient des vies relativement séparées. L’exercice est classique dans le roman-feuilleton, mais Pierre Decourcelle en étant alors à son premier roman, il se met volontiers dans des situations dont il a du mal à sortir. Ainsi, ayant placé Marcelle sur le chemin d’Hélène, qui l’adopte, il se trouve bien gêné quand il s’agit de faire entrer Fanfan dans la vie d’Hélène, et de les faire vivre ensemble dans l’ignorance de leur filiation, alors que Marcelle, elle, connaît déjà Fanfan. Certes, la petite fille est envoyée au pensionnat – mais le pensionnat, on en revient forcément pendant les vacances scolaires. Pierre Decourcelle est alors obligé d’inventer à la petite fille une "méningite chronique" qui rend Marcelle amnésique (?), ce qui fait que d’une part, elle n’est pas en mesure de se déplacer hors du pensionnat, et d’autre part, lorsque Hélène lui parle de son fils Fanfan qu’elle recherche désespérément, ce nom n'évoque rien à Marcelle puisqu’elle est amnésique... Ou plutôt temporairement amnésique, puisque une fois guérie, elle reconnaît parfaitement Fanfan, juste avant l’incendie qui va à nouveau renvoyer Fanfan dans la misère. Ce dernier rebondissement est d’ailleurs clairement de trop, et l’on sent que Pierre Decourcelle recule autant qu’il peut la conclusion de son roman à succès ou qu'il a soudainement décidé que Fanfan devait finalement retrouver son père. Néanmoins, il est probable que Pierre Decourcelle a pris conscience par la suite du caractère artificiel de ce délayage, car plus jamais par la suite, il n’écrira de roman aussi long que « Les Deux Gosses ». L’une des qualités néanmoins de ce quatrième volume, c’est que l'auteur se risque, pour la première fois, à un travail analytique plus littéraire. Le roman-feuilleton ne se prête pas, en général, à une grande profondeur psychologique. L’action, le mystère, la tortuosité de l’intrigue, la fluidité du style, sont les principales exigences de l’auteur et de ses lecteurs. Mais Pierre Decourcelle ici s’intéresse énormément aux rapports que développe Fanfan avec sa mère, puis avec son père, sans que cette filiation ne leur soit encore révélée (Georges de Kerlor, par gêne, fait croire à Fanfan qu'il n'est pas son vrai père, mais un ami de son père). Des envies instinctives de tendresse filiale, une parenté d’esprit contre laquelle la raison se dresse, l’étrange éveil de sentiments refoulés au cœur de deux âmes mortifiées par le chagrin et le remords, qui n’osent même pas envisager que le destin les met en présence de celui qu’ils cherchent; tout cela est exprimé avec une justesse, une poésie et un réalisme assez inattendu. Bien entendu, une partie de cette analyse repose sur un mysticisme élitaire du "sang bleu" qui ne nous convainc plus guère aujourd’hui. Mais outre qu’une telle mentalité était alors très courante dans la société française de la IIIème République, où il n’y avait pas à proprement parler de classe moyenne, il y a ici, en dehors de la loi du sang, un moralisme positif qui pousse, dans l’ensemble, le lectorat populaire à s’élever par l’éducation, par l’honnêteté, par le travail même dont la saine activité régulière peut sauver de la délinquance, ou des expériences malheureuses (que l’on qualifierait aujourd’hui de " traumatismes"), et cela, tout du moins ne s’inscrit pas dans une hiérarchie rigide et déterministe des classes sociales. Chacun peut s’élever d’où qu’il vienne, sinon dans la fortune, au moins dans une certaine droiture vertueuse qui est l’essence même de la civilisation, et la base de toute noblesse. Si évidemment c’est là une morale qui s’inscrit dans une certaine pensée monarchiste, elle a le mérite de se vouloir finalement assez rationnelle au sein d’un roman-fleuve où les crimes, les vilénies, les perversités, les violences et les enfants maltraités sont assez abondamment représentés avec crudité, mais sans caricature excessive. Malgré le côté rocambolesque de son récit, Pierre Decourcelle ne cache rien de ce qui est mal, rien non plus de ce qui est bien, et laisse à ses lecteurs le soin de comprendre la valeur du bien par la démonstration du mal dans ce qu’il peut avoir de terriblement ordinaire. LES DEUX GOSSES (Critiques et Résumés) : Tome 1 : https://www.mortefontaine.org/post/pierre-decourcelle-les-deux-gosses-tome-i-1880 Tome 2 : https://www.mortefontaine.org/post/pierre-decourcelle-les-deux-gosses-tome-ii-1880 Tome 3 : https://www.mortefontaine.org/post/pierre-decourcelle-les-deux-gosses-tome-iii-1880 Tome 5 : https://www.mortefontaine.org/post/pierre-decourcelle-les-deux-gosses-tome-v-1880
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