Dans ce cinquième volume des « Deux Gosses », c’est à nouveau un flot d’action, mais aussi de drames, qui vampirisent ce dernier millier de pages, marqué par une extrême difficulté de l’auteur à quitter ses personnages. Revenus à Paris, Georges de Kerlor et Fanfan retrouvent Robert d’Alboize et sa presque épouse Carmen (Il était convenu à cette époque qu’une veuve ne pouvait se remarier avant une durée de 3 ans). Pour la première fois, Fanfan découvre, au hasard de conversations secrètes, quel drame poignant est à l’origine de son abandon. Tout comme Robert et Carmen, il est enclin à croire qu’un vaste malentendu a plongé toute cette famille dans une situation impossible. Ni Robert et Carmen, se sachant à l’origine du malentendu, ni Georges de Kerlor, qui peine à assumer ses actes et ses mensonges, ne trouvent le repos de l’âme. Fanfan lui-même est inquiet pour Claudinet, qu’il a dû abandonner chez la Limace et Zéphyrine, mais son père Georges n’est que médiocrement intéressé par le sort de Claudinet. Il redoute de retomber sur Panoufle, en se promenant dans Paris, et craint aussi que la police ne mette la main sur Fanfan, toujours tenu responsable de l’incendie de Moisselles et du cambriolage d’Hélène. Aussi Georges ne sort plus, il reste amorphe chez Robert et Carmen, et décline doucement au fond d’une dépression sans issue. Fanfan comprend que lui seul peut dénouer l’écheveau où sont embrouillées toutes ces destinées. Aussi un matin, à l’aube, il se lève subrepticement, et après avoir laissé un message rassurant sur l’oreiller, il s’enfuit de la maison et, courageusement, retourne dans la tanière où se terrent les trois bandits. La chance lui est favorable. Au moment où il grimpe le mur pour entrer dans la propriété, Panoufle et La Limace se sont absentés. Zéphyrine, seule, dort encore au rez-de-chaussée. En passant par les toits, Fanfan parvient sans encombre jusqu’à la chambre de Claudinet. Les deux amis se retrouvent avec chaleur, puis ils décident quitter la maison par la grande porte, puisque Claudinet est incapable physiquement de se livrer aux acrobaties de Fanfan. Ce dernier en profite également pour ouvrir d’un coup de couteau son matelas, afin de récupérer la correspondance volée de Robert et Carmen, puis les deux enfants descendent l’escalier, et se retrouvent dans la pièce principale, hélas, face à face à Zéphyrine qui vient de se réveiller. Celle-ci s’empare d’un balai, bien décidée à en finir avec ce diable de Fanfan, mais le garçonnet avait prévu un tel obstacle, et avant de partir de chez lui, il avait subtilisé le révolver de son père. Il sort donc l’arme de sa poche et la brandit face à Zéphyrine, qui apeurée, supplie Fanfan de l’épargner, et l’assure avoir toujours été une mère aimante pour lui. Fanfan n’écoute guère l’horrible femme, et entraînant son ami avec lui, il sort de la propriété et croisent alors Eusèbe et Panoufle, s’apprêtant à rentrer chez eux. Les deux brigands, médusés, se lancent alors à la poursuite de Fanfan et Claudinet. Fanfan dispose de suffisamment de jarret pour semer ses poursuivants, mais toujours malade, Claudinet commence à s’essouffler. Au croisement d’une rue, ils tombent devant une fête donnée dans un restaurant à l’occasion d’un mariage. Entraînant Claudinet avec lui, Fanfan se glisse parmi les invités et supplie les deux jeunes mariés de les aider, car ils sont poursuivis par des voyous. Tandis qu’ils racontent leur histoire et donnent leurs noms (Fanfan sait désormais qu’il s’appelle Jean de Kerlor), le jeune marié hausse brutalement les sourcils et reconnaissant Claudinet, le prend soudainement dans ses bras. En effet, ce jeune homme n’est autre qu’Etienne, un collègue pompier de François Champagne, le père de Claudinet. C’est lui qui avait annoncé à sa veuve, à la fin du premier tome, la mort tragique de François Champagne, décédé pour avoir voulu sauver la poupée d’une petite fille. Cette petite fille, Jeannette, devenue grande, avait souvent songé au pompier qui avait donné sa vie pour elle, et une fois adulte, elle partit en quête de renseignements le concernant. Ce fut grâce à ses recherches qu’elle fit la connaissance d’Etienne, et que l’amour naquit entre eux de par le souvenir de l’ami et du sauveteur perdu. Ils venaient de se marier à l’église et se préparaient au repas de noces, quand Fanfan et Claudinet avaient déboulé dans leur restaurant. Après la mort de François, Etienne avait rendu des visites de courtoisie à Rose Fouilloux, et avait donc connu durant quelques mois le petit Claudinet. Puis Zéphyrine, la tante de Claudinet, et son compagnon, Eusèbe, étaient venu squatter la maison de Rose, et avaient commencé à maltraiter l’enfant. Révulsé par ce couple odieux, mais ne disposant d’aucune autorité pour les chasser de chez Rose, Etienne avait brisé tout contact avec la veuve de son collègue sacrifié. Il avait appris la mort de Rose, mais ne savait pas ce que son fils était devenu. C’est avec une immense émotion qu’il retrouve Claudinet. Quant à Jeannette, particulièrement émue de rencontrer le fils de l’homme qui s'est sacrifié pour elle, elle se prend immédiatement d’affection pour le jeune garçon souffreteux. Quand La Limace et Panoufle arrivent devant le restaurant, ils se retrouvent face à une trentaine d’invités qui leur bloquent le passage et menacent d’appeler la police. Ils n’ont d’autre choix que de s’enfuir à leur tour en courant… Rentrés vingt minutes plus tard dans leur repaire, Eusèbe et Panoufle apprennent de Zéphyrine, encore tremblante, ce qui s’est passé durant leur absence. C’est alors une crise de colère tonitruante qui oppose les trois voyous, chacun accusant les deux autres de leur déveine tenace. Car bien entendu, ils n’ont pas tardé à comprendre, en voyant le matelas de Fanfan éventré, que c’était là qu’il avait caché la précieuse correspondance qu’ils espéraient vendre à prix d’or. Pour le trio, c’est un désastre : non seulement, ils doivent renoncer pour toujours à ces précieuses lettres dont ils espéraient tirer une somme mirobolante, mais ils ne peuvent plus compter sur leurs enfants-esclaves pour les assister. Cependant, chez Eusèbe comme chez Panoufle, une même pensée commence à germer : se débarrasser coûte que coûte de ce rival. Panoufle, en effet, aimerait bien récupérer Zéphyrine pour son propre compte, mais bien que tentée, Zéphyrine est depuis trop longtemps attachée à Eusèbe pour changer réellement de partenaire. Il faudrait donc, d’une manière ou d’une autre, soit qu’Eusèbe disparaisse, soit qu’il perde son prestige aux yeux de Zéphyrine. De son côté, Eusèbe garde à l’esprit que Panoufle continue d’être recherché par toutes les polices de France, et qu’il ne faudrait guère que leur apprendre sous quelle identité l’évadé de Cayenne se cache, pour qu’il soit aussitôt arrêté et guillotiné. Mais Eusèbe hésite encore : dénoncer un camarade aux "roussins", cela heurte quand même ses principes… Les deux hommes en sont tristement réduits à faire des attaques à main armée, en pleine nuit, dans les rues louches de Paris. C’est ainsi, qu’alors ils tentent d’estourbir un passant, lequel leur démontre sans problème qu’il est aussi fauché qu’eux, ils font la connaissance de Prosper, le bookmaker malheureux, fils adoptif de Pélagie Crépin. Celui-ci ne prend pas mal l’attaque dont il est victime. Il cherche justement des hommes motivés et sans scrupule. Son but : se débarrasser de sa bonne maman Pélagie, qui vit dans une petite maison isolée de Viroflay depuis qu’elle a été renvoyée par Mariana de Sinclair, et chez laquelle Prosper est hébergé, mais goûtant peu la vie spartiate de la vieille avare. Pélagie Crépin cache son magot dans un petit coffre-fort qui nécessiterait d’être confié à des experts en ouverture. Bien entendu, le magot serait partagé en trois, mais il faudrait se débarrasser de Pélagie, car elle ne saurait que trop bien que Prosper serait à l’origine du coup. Le plan est établi pour la semaine suivante. Prosper glisse subrepticement un somnifère dans la tisane que Pélagie prend avant de se coucher. Sur le coup de minuit, Eusèbe et Panoufle toquent discrètement à la porte, et Prosper leur ouvre. Dans un premier temps, il faut se débarrasser de la vieille. Panoufle, qui n’en est pas à son premier cadavre, se charge de l’affaire. Eusèbe lui a recommandé d’égorger Pélagie, mais Panoufle n’aime pas les meurtres qui tâchent trop les vêtements. Trouvant la vieille femme couchée sur le dos, profondément endormie, il se dit que ce serait bien bête de la réveiller, et d’un geste ferme et précis, il se contente de lui planter son couteau dans le cœur. Du moins, le croit-il... De retour dans la pièce principale, Eusèbe et Panoufle s’attaquent au petit coffre qui se laisse forcer en quelques minutes. Ils sont ébahis devant les liasses de billets qu’ils empilent sur une petite table devant eux. Mais leurs hurlements de joie sont de courte durée. La porte de la chambre de Pélagie s’ouvre, et telle une revenante, le couteau toujours plongé dans sa poitrine, mais hélas, un peu en dessous du cœur, la vieille se précipite vers les trois hommes tétanisés, s’empare des liasses de billets et commence à les fourrer dans sa bouche. (!!!) Panoufle a alors le réflexe de l’attraper par le cou, et de lui briser la nuque, mais Pélagie, en agonisant, vomit alors du sang qui inonde les billets qu’elle a avalés, tandis que ses mains, elle aussi poisseuses du sang de sa plaie, se referment en une dernière crispation sur les liasses de billets encore sur la table. Pélagie est enfin morte, mais son argent est irrémédiablement détruit, et les trois hommes en sont à nouveau pour leurs frais. Prosper leur abandonne les quelques bibelots de Pélagie, et s’enfuit, bien décider à quitter la France pour longtemps. Penauds, Eusèbe et Panoufle rentrent à nouveau chez eux avec le sentiment d’être maudits par le sort. De son côté, Mariana de Sinclair est devenue une célèbre courtisane parisienne, mais sa réputation de cupidité et de froideur extrême ont peu à peu éloigné ses différents amants. Elle se trouve dans une période d’indécision, lorsque soudain elle apprend, tout en se réjouissant sadiquement de la débâcle de Silverstein, que Paul Vernier est toujours vivant, et qu’il bénéficie même d’une brutale célébrité qui va faire de lui un millionnaire. L’épouse indigne, qui se croyait veuve, enrage ! Elle se doute bien qu’il est inutile de relancer le sculpteur, il ne se laissera plus prendre à ses mensonges. Mais l’intrigante se dit qu’il y a quand même quelque bénéfice à en tirer : puisque Paul Vernier n’est pas mort, elle est donc toujours son épouse, et par conséquent porte légalement son nom. Paul Vernier lui-même ne pourrait la répudier publiquement, sans que le scandale rejaillisse sur lui. Puisqu’il est désormais reconnu comme un sculpteur de génie, la voilà donc devenue l’épouse de ce sculpteur de génie. Une idée machiavélique s’empare d’elle. Elle se rend dans un des plus célèbres cabarets de Paris, et propose au directeur, qui la connait bien, de monter un spectacle autour du concept de « Madame Paul Vernier », en faisant croire qu’elle fut le modèle principal de toutes les sculptures féminines de Paul (ce qui n’est qu’à moitié faux). Autour de cela, elle effectuera un spectacle de danse érotique, quasiment nue, dans un décor de reproduction des statues de son mari. Le directeur du cabaret est enchanté, et le projet est aussitôt réalisé. Des affiches sont imprimées, et collées sur tous les murs du cabaret. Hélas pour Mariana, ce cabaret compte, parmi son personnel, un éclairagiste, qui a pour compagne une certaine Eugénie. Cette Eugénie, c’est l’ancienne amante du violoniste tzigane Laszlo. Elle était la maîtresse attitrée de ce dernier quand ils étaient à Paris, et par jalousie, Eugénie avait déjà menacé sa rivale de représailles. Par la suite, Laszlo s’était enfui à Genève en compagnie de Mariana et des économies de Paul Vernier, plantant là son ancienne maîtresse, qui s’était juré de se venger un jour de Mariana. Elle reconnaît, sous la plume habile de l’illustrateur de l’affiche, sa rivale honnie, et comme elle peut accéder, via son nouveau compagnon, aux coulisses du cabaret, elle décide de se livrer à une vengeance éclatante. Le soir de la première du spectacle de Mariana, alors que cette dernière est presque intégralement dénudée et s’apprête à entrer en scène. Eugénie surgit alors dans la loge de Mariana et lui balance à la figure un verre empli de vitriol. Sous la douleur atroce, Mariana s’évanouit, tandis qu’Eugénie est maîtrisée, puis emmenée par la police. L’affaire fait évidemment un énorme scandale, qui s’étale dans tous les journaux. Paul Vernier n’était pas informé du spectacle de son épouse, mais il apprend par la presse le crime horrible dont elle a été victime. Eugénie a eu la main sûre. Si les yeux de Mariana ont été miraculeusement épargnés, son visage et sa poitrine dénudée ont été irrémédiablement brûlés jusqu’à l’os, lui laissant d’épouvantables cicatrices. Son aspect est même devenu si repoussant que le médecin lui laisse ses bandages bien après qu’ils ne soient plus nécessaires, et entretient de manière insensée chez la jeune femme l’espoir d’une cicatrisation. Mais Mariana finit par remarquer, tant chez le médecin que chez ses domestiques, que les paroles d’espoir qu’on lui distille ne cadrent pas avec les regards affligés que l’on pose sur elle. Au bout de quelques semaines, elle se lève de son lit, se place face à un miroir et enlève elle-même ses bandages : quand elle découvre ce qu’est devenue sa figure, elle hurle d’épouvante et s’évanouit. Pour cette ambitieuse qui n’a jamais véritablement joui que du pouvoir sur les autres que lui conférait sa beauté, rien de pire ne pouvait arriver. C’est la vie elle-même qui perd tout son sens. Par courtoisie plus que par envie sincère, Paul Vernier lui rend visite. Il a beau lui garder rancune, il trouve que la punition du destin est bien cruelle, même si au fond, Mariana ne récolte que ce qu’elle a passé sa vie à semer. Paul l’invite à se repentir du mal qu’elle a fait, mais Mariana n’est pas du genre à nourrir des regrets envers quoi que ce soit. Tout au plus consent-elle à rendre à Paul l’argent qu’elle lui a volé en s’enfuyant avec Laszlo. Puis l’enjoignant à ne plus revenir la voir, elle cesse peu à peu de s’alimenter et se laisse mourir en quelques semaines. De son côté, Panoufle, alors qu’il se déplaçait en fiacre, aperçoit et reconnaît Georges et Fanfan sur un trottoir, alors qu’ils guidaient des déménageurs portant des meubles neufs pour la chambre de Claudinet. Sachant désormais où vivent Fanfan et Claudinet, Casimir Panoufle revient au repaire de La Limace et Zéphyrine et leur fait part de sa découverte. Le lendemain, Eusèbe et Panoufle vont discrètement observer l’hôtel particulier où habitent leurs ennemis. Ils sont favorablement impressionnés par l’opulence et le luxe du petit immeuble. Panoufle décide de s’y introduire, non seulement pour tuer Fanfan, mais aussi pour y faire main basse sur les coffres-forts, quitte à massacrer toute la famille de Kerlor si nécessaire. Eusèbe est modérément partant, d’abord parce qu’il est moins rancunier que Panoufle, ensuite parce qu’il répugne aux meurtres inutiles, enfin parce que l’opération lui semble difficile pour seulement deux hommes. Panoufle lui assure pouvoir disposer d’au moins deux complices, mais Eusèbe demeure dubitatif. Les lueurs sadiques qui brillent dans les yeux de Panoufle commencent à l’inquiéter. Au fur et à mesure qu’il vieillit, Panoufle commence à se lasser des opérations dangereuses, rêve d’une vie malhonnête plus paisible, et dès lors qu’il n’y a plus Fanfan et Claudinet à surveiller, l’association avec Panoufle ne lui semble plus avoir beaucoup d’intérêt. Panoufle, de son côté, sent la réticence d’Eusèbe, et se dit que son complice n’est décidément plus bon à rien, et sait bien trop de choses à son compte. Le lendemain, chacun des deux hommes applique secrètement son propre plan pour éliminer l’autre : Eusèbe consigne sur une lettre toutes les informations sur la nouvelle identité de Panoufle ainsi que ses intentions concernant l’hôtel particulier des Kerlor, puis il envoie sa lettre de délation par la Poste au commissariat le plus proche. Casimir, de son côté, engage ses dernières économies pour s'offrir les services d’une prostituée qui officie dans une roulotte, non loin d’un bâtiment en chantier. Puis, le soir venu, en cachette de Zéphyrine, Panoufle annonce à Eusèbe qu’il a rencontré la cheffe d’une bande de cambrioleurs qui est d’accord pour tenter le coup de l’hôtel de Kerlor, mais elle veut d’abord rencontrer Eusèbe, seule à seul, pour jauger de ses compétences. Panoufle lui donne l’emplacement de la roulotte, tout en lui conseillant de ne rien dire de cette rencontre à Zéphyrine, dont la jalousie maladive est proverbiale. Eusèbe annonce donc le soir à Zéphyrine qu’il sort, en donnant un prétexte vague, dont Zéphyrine n’est qu’à moitié dupe. Une fois la porte refermée, elle exprime ses doutes à Panoufle qui, d’un air chagriné, lui révèle que La Limace va en fait passer un moment chez une prostituée, et que ce n’est hélas pas la première fois. Zéphyrine en est estomaquée, et peine à y croire. Panoufle lui propose alors de suivre ensemble La Limace pour vérifier ce qu’il prétend. Panoufle n’a évidemment aucun mal à suivre Eusèbe de suffisamment loin, puisqu’il sait exactement où il va. La grisette à laquelle il rend visite a d’ailleurs été parfaitement instruite du rôle qu’elle doit tenir. Elle accueille Eusèbe dans sa roulotte avec des airs de conspiratrice, joue habilement la cheffe de bande, décide avec Eusèbe du plan à tenir, puis lui faisant un numéro de séduction, soi-disant conquise par son charme, elle l’entraîne sans trop de mal dans son lit. Enfin, toujours selon la consigne donnée par Panoufle, qui l’a grassement payée pour ses services, au moment où Eusèbe sort de la roulotte et prend congé de l’habile grisette, celle-ci se jette dans ses bras et lui colle sur la bouche un voluptueux baiser. Cachée derrière une grosse pierre de taille, Panoufle et Zéphyrine assistent à ce spectacle. Zéphyrine est tétanisée. Casimir alors sort de sa poche un immense couteau puis lui susurre à l’oreille : « Tiens, venge-toi ! » Eusèbe passe non loin de la cachette de ses deux acolytes sans les apercevoir, encore perdu dans les rêveries charnelles auxquelles il vient de s’abandonner. Il ne fait que quelques mètres. Zéphyrine se précipite derrière lui, et avec une extrême violence, lui enfonce le couteau entre les omoplates. Eusèbe tombe raide mort sans même avoir aperçu son assassin. En état de choc, Zéphyrine reste immobile, stupide, à regarder le cadavre du seul homme qu’elle ait jamais aimé et qu'elle vient de tuer. Panoufle comprend alors qu’il faut agir vite. Le meurtre a eu lieu sur le chantier voisin de la roulotte, il y a donc par-ci par-là d’énormes fosses creusées jusqu’aux fondations souterraines du futur immeuble. Se saisissant du cadavre d’Eusèbe, Panoufle le jette dans une de ces fosses, où il disparait bientôt à la vue, puis, tirant avec lui une Zéphyrine toujours aussi choquée, il la ramène dans cette maison qui est désormais la leur. Deux jours plus tard, chez Robert d’Alboize et Carmen, on a finalement organisé une confrontation tardive de Georges avec la correspondance amoureuse enfin récupérée de ses hôtes, si adroitement récupérée par Fanfan. Si la lettre qu’il avait surpris ne comportait aucun prénom, les autres sont éloquentes, y compris sur la complicité d’Hélène comme simple intermédiaire. Face à l’indubitable vérité, Georges de Kerlor réalise alors la monstruosité de ses actes, de l’injustice et la cruauté avec laquelle il a traité Hélène, de l’indignité qui l’a poussé à abandonner son bébé aux mains d’un cambrioleur surpris par hasard. Dix ans d’aveuglement, de déni, mais aussi de remords, de tourments. Trois vies gâchées par sa propre stupidité et son monstrueux orgueil… Sa honte est si grande que presque personne ne pourrait l’empêcher de prendre son révolver et de se brûler la cervelle, si heureusement, Hélène et la petite Marcelle ne se trouvaient dans la pièce voisine, amenée par Paul Vernier. De l’autre côté de la porte, l’épouse a entendu les sanglots de son mari, elle a entendu de sa bouche sortir l’extraordinaire repentir. Ses propres souffrances n’ont pas asséché son cœur face aux souffrances morales du coupable, car elle est bien trop chrétienne pour ne pas pardonner à l’homme qu’elle a tant aimé et qu'elle aime encore. Hélène ouvre la porte, se présente à Georges, et l’enjoint à rester en vie pour reconstruire autant que possible leur vie de couple. Et puis il y a l’enfant retrouvé, ainsi que le grand frère et la petite sœur qu’il s’est choisi, pour lesquels il va falloir recréer le cercle de famille dont ils ont si longtemps été privés. Georges de Kerlor, bouleversé, se jette alors aux pieds de sa femme, lui renouvelle encore ses plus profondes excuses, et lui assure que ce qu’il lui reste à vivre ne suffira pas pour se faire pardonner tout le mal qu’il a pu faire, mais du plus profond de son âme, il fera de son mieux. Les retrouvailles de ces grandes familles se poursuivent très tard dans la nuit, et se sentant fatigué, Claudinet est le premier à regagner sa chambre pour aller dormir. Il ronfle à poings fermés, quand soudain, une main criminelle ouvre de l’extérieur la fenêtre de sa chambre. Accompagné d’un vieux complice recruté à l’arrache, Polyte, Casimir Panoufle a fort malencontreusement choisi son soir pour tenter le cambriolage de l’hôtel des Kerlor. Il a laissé Zéphyrine devant le portail de la propriété pour faire le guet. Cependant, Zéphyrine l’inquiète beaucoup. Depuis la nuit du meurtre d’Eusèbe, elle n’a pas prononcé quatre mots, et semble dans un état second. Mais il n’a pas le choix, il a besoin d’elle pour surveiller les environs… Au-dehors, Zéphyrine a froid. C’est la première sensation qu’elle ressent depuis qu’elle a vu tomber le cadavre d’Eusèbe. Elle aperçoit non loin un clochard qui a allumé un petit feu dans une encoignure. Elle le rejoint pour se réchauffer, et le clochard, affable, lui tend sa bouteille de vin. Les vieux instincts d’alcoolique de Zéphyrine se réveillent. Elle se grise, sympathise, puis finit par raconter sa vie à ce très convivial clochard, qui l’écoute avec la plus grande attention – et pour cause, c’est en fait un policier déguisé. Ignorant encore tout cela, Panoufle et Polyte pénètrent dans la chambre de Claudinet que Casimir suppose – à tort – être celle de Fanfan. Apercevant le corps de l’enfant dans le lit, il sort son couteau, et le poignarde violemment dans le dos. Sous la douleur du coup, Claudinet se retourne et crie. Panoufle réalise alors que ce n’est pas Fanfan qu’il vient d’assassiner. Toute la maisonnée, alertée par le cri de l’enfant, pénètre dans la chambre de Claudinet, et Panoufle, effaré, qui ne s’attendait pas à trouver autant de personnes debout et habillées, s'enfuit par la fenêtre, en compagnie de Polyte, puis traverse le jardin, franchit le portail grand ouvert de la propriété, et tombe entre les mains d’une quinzaine de policiers qui l’attendaient en embuscade. Ramené au commissariat, Panoufle est enfermé en cellule, tandis que sa carte d’identité est vérifiée. On vient ensuite lui présenter la lettre d’Eusèbe, reçue le matin même, prouvant que ce John Blascow, cambrioleur américain, n’est autre que le dangereux Casimir Panoufle, l’évadé de Cayenne, accusé de plus d’une dizaine de meurtres, dont quelques uns ont été aimablement confirmés par Zéphyrine, y compris celui d’Eusèbe, que sa pauvre cervelle ne peut pas assumer. Pour Panoufle et Polyte, ce sera, quelques semaines plus tard, la fin de leur carrière sous le couperet de la guillotine. Quant à Zéphyrine, le peu de raison qui lui restait s’est définitivement envolé après sa nuit de garde à vue au commissariat. Elle passera le restant de ses jours enfermée dans un sordide asile de fous réservés aux indigents ramassés dans la rue. Phtisique, Claudinet ne devrait pas survivre au coup de couteau reçu par Panoufle, et pourtant, et pourtant, Pierre Decourcelle ne peut tout à fait s’y résoudre. Veillé par fanfan et surtout par la petite Marcelle, dont les soins dévoués font des miracles, Claudinet n’est pas proprement sauvé, mais l’auteur conclut la 5408ème page de son récit – la dernière – sur l’angoissante question de Fanfan : « Le sauverez-vous ? » par la réponse laconique du médecin : « Peut-être ». Plus gros roman feuilleton jamais publié au XIXème siècle, « Les Deux Gosses » reste néanmoins un classique du genre, qui impressionne d’abord par son incroyable fluidité, rendue possible par un nombre finalement assez limité de personnages, aux personnalités clairement définies et limpides, articulées entre elles de manière subtilement géométrique. Quatre couples : les Kerlor, les Vernier, les Saint-Hyriex et le duo La Limace/Zéphyrine), auxquels se joignent des personnages annexes satellites (Robert d’Alboize, Casimir Panoufle, la Comtesse-mère de Kerlor, la petite Marcelle) ou au contraire, qui n’apparaissent que le temps d’apporter un nouvel élément au récit (Rose Fouilloux, François Champagne, Etienne et Jeannette, Pélagie Crépin et Prosper, le soldat Brisquet, et de nombreux autres que je n’ai pas tous cités). Notons aussi un registre volontairement limité de lieux de l’action (La Bretagne, Paris, la région de Tours, la Guyane), suffisamment éloignés les uns des autres pour que le décor y soit à chaque fois sensiblement différent. Tout cela est servi par un style sans grande personnalité, mais vivace, tout entièrement dédié à une retranscription nerveuse et factuelle de l’action, sans romantisme excessif, sans moralité pesante, ni de Grand-Guignol (à part peut-être le meurtre de Pélagie Crépin). Dans l’ensemble, cela donne une œuvre riche mais délayée, dont la clarté et l’efficacité parviennent à faire passer des clichés scénaristiques relativement éculés, même pour 1880 : enlèvements d’enfants, portraits d’orphelins à la Charles Dickens, couple maléfique à la Thénardier ou plus exactement semblable au duo La Chouette et Le Maître D’École dans « Les Mystères de Paris », rêverie aristocrate, peinture âpre des bas-fonds, malentendus et quiproquos aux lourdes conséquences, retrouvailles inattendues, etc, etc… Pierre Decourcelle est d’autant moins original, que l’on sent clairement qu’il cherche à brasser large, assimilant intrigues familiales aristocrates, roman social réaliste à la Eugène Sue, roman policier, récit sentimental d’amour contrariées, cocufiages boulevardiers un poil lubriques, humour noir et aventures exotiques. Tant de genres différents se côtoyant dans un récit de 500 pages, cela aurait semblé confus et télescopé. Mais en étirant son récit sur plus de 5000 pages, Pierre Decourcelle s’offre le luxe de transitions douces, de contrastes harmonieux. Il suit un plan bien défini, semble rarement improviser, et ne s’accorde que d’assez brèves digressions. Parce que son récit est un chef d’œuvre de narration équilibrée, il tient aisément le cap des 5000 pages, sans ennuyer, sans lasser, même s’il y a des moments où l’on aimerait que l’action languisse moins. Mais quand elle languit, on ne trouve pas chez Pierre Decourcelle cet amoncellement de dialogues inutiles, ni le prolongement regrettable d’une scène qui gagnerait à être plus brève, qui est si symptomatique de vieux routiers du genre comme Émile Richebourg, par exemple. Pierre Decourcelle sait reculer une perspective en y ajoutant subtilement de nouvelles problématiques pertinentes, des détails qui font sens, de façon à ce que chaque chemin de traverse dessine une assez jolie arabesque, suffisamment adroite et bienvenue pour qu’on ne s’interroge pas trop sur son utilité profonde. Il en résulte que si la lecture des « Deux Gosses » est un sacré investissement en temps (comptez facilement 3 à 4 mois pour un lecteur discipliné et constant, facilement le double pour un lecteur plus lent ou moins disponible), et peut se révéler rédhibitoire quand on n’est pas très familier du genre, cette œuvre copieuse, non seulement en kilos de papier imprimé mais en émotions et en suspense, a de quoi motiver les lecteurs les plus blasés, comme les dix-neuviémistes les plus avides de s’immerger dans un récit circonstancié de la Belle-Époque, même si l’on trouvera bien plus de détails sur le Paris des années 1860 à 1880, que sur les villes de province, qui sont plus distraitement décrites, ou sur la Guyane, qui n’est qu’esquissée. « Les Deux Gosses » est un très long marathon narratif, mais on s’y ennuie rarement, et une fois parvenu à destination, on se sent incroyablement fier et heureux d’avoir accompli un aussi intense et aussi long voyage. Comme d’autres classiques du roman-feuilleton du XIXème siècle, « Les Deux Gosses » a fait l’objet au XXème siècle de plusieurs adaptations cinématographiques, forcément très succinctes, très libres, mais hélas, toujours actualisées à l’époque en cours, ce qui est grotesque, tant tout, dans ce récit, reflète les mœurs exclusives du siècle précédent. Signalons toutefois comme notable la version tournée par Fernand Rivers, qui a le mérite de ne pas être une compression arbitraire de ce roman-fleuve, mais une adaptation filmée de la propre pièce de théâtre que Pierre Decourcelle avait lui-même tiré de son roman. Bien que simplifiée à l’extrême, l’intrigue conserve en grande partie le charme désuet du roman, encore que, le film datant de 1936, les personnages y sont habillés à la mode urbaine des années 30 – y compris les personnages des bas-fonds -, et les jeunes femmes y ont un look garçonne qui colle assez mal avec le caractère très traditionaliste, très vieille France, des personnages originaux. Ajoutons aussi quelques chansons épouvantables qui vrillent méchamment les oreilles. Il n’empêche, cela se regarde sans déplaisir comme un complément agréable du livre, pour ceux à qui les 5408 pages de ce récit ne suffiraient pas tout à fait… Un rip acceptable - malgré quelques problèmes de son - de la version VHS restaurée du film de 1936 peut-être gratuitement vu sur le site de streaming russe OK.ru à l'adresse suivante : https://ok.ru/video/1685443447306 LES DEUX GOSSES (Critiques et Résumés) : Tome 1 : https://www.mortefontaine.org/post/pierre-decourcelle-les-deux-gosses-tome-i-1880 Tome 2 : https://www.mortefontaine.org/post/pierre-decourcelle-les-deux-gosses-tome-ii-1880 Tome 3 : https://www.mortefontaine.org/post/pierre-decourcelle-les-deux-gosses-tome-iii-1880 Tome 4 : https://www.mortefontaine.org/post/pierre-decourcelle-les-deux-gosses-tome-iv-1880
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