top of page

TOM TIT [ARTHUR GOOD] & LOUIS POYET - « La Science Amusante » (1889)


Une curiosité devenue un classique, voire même un exemple qui a bien perduré pendant plus d’un siècle. D’origine britannique, Arthur Good était le fils d’un pasteur exerçant en France, à Montivilliers, petite bourgade de la banlieue du Havre. D’être né et d’avoir grandi dans un milieu spirituel semble avoir agi sur lui comme un vaccin anticlérical. Très jeune, Arthur Good se dirige vers des études scientifiques, puis entre à l’École Centrale des Arts et Manufactures - désignée aujourd’hui principalement par l’acronyme ECP (École Centrale Paris) – dont il ressort ingénieur, à seulement 23 ans. Peu de choses subsistent quant à ses réalisations et ses emplois en tant qu’ingénieur, mais très rapidement, il va s’investir dans la presse comme auteur d’articles de vulgarisation scientifique. On ne sait pas non plus si cette activité très prolifique était devenue son principal métier, ou s’il exerçait en tant qu’ingénieur, et ne rédigeait ses articles que comme une sorte de violon d’Ingres. De 1885 à 1888, il crée et dirige un magazine de curiosité scientifique, « Le Chercheur, Journal des Inventions Nouvelles », qui ne trouve pas son public. Heureusement, on lui propose alors de tenir une petite rubrique hebdomadaire dans un journal généraliste fermement implanté depuis un demi-siècle : « L’Illustration ». Pour des raisons qui restent là aussi mystérieuses, mais qui sont probablement liées à des dettes restées en suspens après le dépôt de bilan du « Chercheur », Arthur Good décide, pour la première fois, de signer sous un pseudonyme, et un pseudonyme quelque peu osé : Tom Tit. Encore que, dans la France encore peu anglophone en cette fin des années 1880, il y eut certainement bien peu de gens pour savoir ce que voulait dire le mot "tit". Il est vrai qu’à la base, ce mot était juste le raccourci populaire du nom "titmouse", qui désigne une certaine sorte de mésange. On ne sait guère plus par quel bizarre cheminement, "tit" a acquis son sens actuel, bien que le mot français "téton" soit peut-être à l'origine de la confusion. Tom Tit est un nom qui sonne bien et qui est facile à mémoriser pour de jeunes enfants. Arthur Good le conservera comme nom de plume jusqu’à la fin de ses jours. « L’Illustration » étant un hebdomadaire généraliste pour jeunes gens, Arthur Good est très vite persuadé qu’il ne sert à rien de poursuivre dans la vulgarisation scientifique. En fait, parce que son lectorat n’est pas forcément intéressé par la science, il trouve plus opportun d’initier des lecteurs profanes à la curiosité scientifique, en la présentant dans le cadre d’expériences qui tiennent un peu de la prestidigitation. De là, nait le concept de sa rubrique, « La Science Amusante », qu’il va mener pendant plus de cinq ans, d’abord à « L’Illustration », puis chez un journal concurrent, « Le Petit Français Illustré », et ce, jusqu’à épuisement de l’imagination d'Arthur Good. Cette rubrique sera rééditée, entre 1889 et 1894, sous la forme de trois volumes aux couvertures luxueuses, qui seront un immense succès de librairie, non seulement en France, mais aussi en Espagne, en Angleterre, en Scandinavie, et même aux États-Unis et en Russie. Il est vrai que le concept imaginé par Arthur Good était à la fois moderne et efficace. Sa rubrique n’est pas à proprement parler un article : c’est un tutoriel pour réaliser chez soi une expérience ludique à partir d’objets usuels, la plupart du temps des ustensiles de cuisine, visant à démontrer une propriété scientifique comme s’il s’agissait d’un tour de magie. Bien qu’il soit rarement crédité, il faut considérer véritablement le graveur et illustrateur scientifique Louis Poyet, comme le co-auteur de cette rubrique, car il s’est chargé de représenter graphiquement les expériences que proposait Arthur Good, ce qui non seulement aide à leur visualisation, mais permet aussi de mieux comprendre ce que l’auteur veut dire par certaines formulations ou descriptions alambiquées, qui révèlent souvent les limites littéraires de cet esprit purement scientifique. Louis Poyet apporte donc énormément à « La Science Amusante », et il le fait non seulement avec un talentueux réalisme, mais il dote ses gravures d’un grand raffinement dans le crayonné de départ, qui reproduit et souligne la beauté naturelle de chaque objet. À ses débuts, « La Science Amusante » se limite principalement à la conception de mobiles jouant avec la gravité. Le mobile fut prétendument inventé par le sculpteur américain Alexander Calder, au début des années 1930, comme objet d’art contemporain, mais en réalité, ce procédé existait déjà depuis longtemps, comme simple expérience d’équilibre, et sans doute Arthur Good en fut l’un des plus actifs promoteurs. Néanmoins, en ingénieur rationnel, il n’y voyait absolument rien d’artistique. Son propos était de créer des emboîtements d’objets d’une complexité croissante, dont on ne soupçonnerait pas, en voyant l'illustration, qu’ils puissent se maintenir ainsi en équilibre. Bouteilles, bols, assiettes, louches, fourchettes, couteaux pliants, bouchons de liège : tout ce qui traîne dans une cuisine était valable pour fabriquer un mobile, pourvu que le poids et le centre de gravité de chaque objet soit connu d'avance, ou estimé avec justesse. L’ensemble de ces expériences d’équilibre forme le premier tiers de ce premier recueil, et aussi ahurissants que soient souvent ces mobiles, tout cela est un peu long et répétitif, un peu frustrant aussi puisque, la vaisselle ayant considérablement changé depuis la Belle-Époque, la majeure partie de ces expériences sont impossibles à refaire aujourd’hui. Une fois imaginés tous les mobiles possibles et réalisables, les expériences proposées par Arthur Good passèrent du mobile immobile aux mouvements mobiles, suscités par des interactions avec l’air, l’eau, le vin ou l’huile. Certaines de ces expériences sont éventées, et ont même été abondamment reprises dans des journaux pour enfants du XXème siècle. D’autres, au contraire, gardent encore de nos jours une franche originalité et un caractère magique, comme par exemple, l’expérience relativement simple à refaire d’un faux insecte taillé dans un petit morceau de camphre pur, et que l’on fait simplement flotter à la surface de l’eau dans un verre. L’action de l’eau sur le camphre donne l’impression que l’insecte prend vie et nage. À noter que l’eau ne dissout pas le camphre, contrairement à l’alcool; celui-ci glisse simplement sous la poussée naturelle de l’eau, dont la densité est supérieure. Aussi l’insecte de camphre semblera vivant et pourra nager ainsi pendant des heures, tant qu’on ne le sortira pas de son verre d’eau. C’est une des expériences les plus simples à refaire que propose ce premier volume de « La Science Amusante », et c’est à dessein que je la cite dans cette critique, mais la majeure partie du temps, les expériences d’Arthur Good demandent bien plus de matériel, ainsi qu'une longue préparation et, sans nul doute, beaucoup de tentatives ratées avant de réussir. En bien des occasions, « La Science Amusante » est aussi une initiation au bricolage, nécessitant, ciseaux, papier, allumettes et leur boite, colle (d’amidon, encore naturelle en ce temps-là), clous, vis, épingle, aiguilles à couture, tournevis, pince, etc…  Ayons d’ailleurs une pensée émue pour les innombrables parents des jeunes lecteurs de « La Science Amusante » qui ont dû, plus d’une fois, sortir la balayette, la serpillère, la pelle à balai et le lave-pont pour faire disparaître du sol les inévitables égarements des scientifiques en herbe. D’ailleurs, ce qui étonne aujourd’hui, en relisant ces expériences recommandées à des enfants ou des préadolescents, c’est la prodigieuse liberté, exempte de tout avertissement, avec laquelle on incite des enfants à jouer avec des objets pouvant être fort dangereux à manipuler, ne serait-ce que des fourchettes, des couteaux, des allumettes ou des épingles. À aucun moment, Arthur Good ne conseille même à ses jeunes lecteurs de se faire accompagner d’un adulte. Inconscience dans la science ? Pas vraiment… Disons plutôt qu’il s’agit d’une autre époque, où la rigueur et la concentration données à l’éducation conférait très tôt aux enfants le sens de la responsabilité de leurs actes, et la prudence la plus absolue en toute chose, et ils y étaient généralement réceptifs, du fait même qu’à cette époque reculée, aucun gadget ou aucun loisir accaparant ne pouvait distraire leur attention de ce qu'on leur inculquait. Dans le même ordre d’idées, on a pu voir fleurir dernièrement sur Internet quelques films amateurs tournés dans les années 20 ou 30, montrant la circulation dans Paris ou dans d’autres grandes villes, à une époque où il n’y avait ni signalisation, ni passages piétons (apparus après la Libération), et bien qu’une ville comme Paris ait déjà été surpeuplée en piétons et en véhicules, on est surpris de voir les piétons d'il y a un siècle traverser les rues de manière totalement anarchique, devant des voitures ou des tramways qui ne pouvaient avancer qu’avec d’infinies précautions. Bien entendu, il y avait des accidents, mais bien moins qu’aujourd’hui, malgré les luxes sécuritaires de précautions auxquels nous recourons, qui ont peut-être d'ailleurs le tort de trop nous rassurer, et de faire baisser notre vigilance, laquelle sera facilement prise au dépourvu en cas d’impondérable. Toutefois, à mesure que l’on avance dans la lecture de ce volume, les expériences deviennent de moins en moins dangereuses, car de plus en plus inspirées par les marottes de cette fin des années 1880 : la lanterne magique, les ombres chinoises, et les projections lumineuses qui en découlent.  On pourra d’ailleurs reprocher à Arthur Good de s’éloigner des grandes lois de la physique pour ne plus les aborder que comme des mécaniques servant à produire de l’émerveillement. À sa décharge, il faut lui reconnaître que, craignant peut-être de lasser ses lecteurs ou de se répéter sans fin, il invitait tous les esprits curieux à lui écrire au journal, soit pour lui soumettre des idées, des questions ou des sujets; soit pour partager les trouvailles personnelles de petits bricoleurs anonymes de génie. C’est donc sous l’influence de son public le plus fidèle que, petit à petit, Arthur Good évolua vers des sujets qui étaient plus globalement liés au spectacle et ou aux effets spéciaux, ce qui consistait soit, comme avec la lanterne magique, à l’animation de silhouettes découpées, soit à des jeux de lumière, en ombres chinoises ou en formes projetées, avec également quelques animations basiques, purement mécaniques, à base de papier découpé. Tout cela était incroyablement onirique en 1889, mais à l’ère de la réalité augmentée et des lunettes 3D, tout ce qui relève de l’animation mécanique ou lumineuse - comme génératrice de féérie - a pris un terrible coup de vieux durant ces dernières décennies; et aussi passéiste soit-on, il est quand même difficile de trouver encore de la magie aux petits bricolages simplets proposés par Arthur Good, lequel achève son recueil avec un bien désuet catalogue de ce que l’on appelait alors « l’ombromanie », c’est-à-dire les positionnements des mains et des doigts, permettant de figurer, sur un écran ou sur un mur, par projection en ombres chinoises, des personnages ou des animaux. Combien sommes-nous encore à avoir été émerveillés, enfants, par le théâtre d’ombres ? Sans doute plus beaucoup. Mais à la Belle-Époque, on croyait plus à l’évolution des techniques qu’à l’évolution des fééries, et on ne soupçonnait pas encore à quel point elles seraient indubitablement liées. Ce premier volume de « La Science Amusante » a donc très inégalement vieilli, selon les thématiques abordées. On y croisera hélas bien des secrets désormais connus de tous, mais ceux que la postérité n’a pas jugé utile de retenir méritent cependant la redécouverte. On abordera donc plus volontiers ce recueil comme un cabinet de curiosités aux allures de vide-greniers, où il faut chiner pour trouver la perle rare au milieu d’autres expériences très convenues. Ajoutons toutefois que l’extrême qualité des gravures offre tout de même un plaisir esthétique qui compense de loin la désuétude des expériences en elles-mêmes. « La Science Amusante » fut un grand succès commercial, on l’a dit plus haut, mais malgré tout, même pour le bibliophile aguerri, il n’est pas facile de remettre la main sur les exemplaires originaux, et pas tellement plus sur les deux réimpressions du début des années 1890. Plusieurs raisons à cela : c’est un ouvrage qui a séduit bien au-delà des amateurs habituels de livres anciens, on se l’est volontiers transmis de génération en génération, sinon pour l’astuce de ses expériences, au moins pour la beauté de sa reliure, et pour sa nature forcément sympathique d'ouvrage positiviste scientifique, que l’on peut feuilleter au hasard, par amusment ou par envie de comprendre. C’est aussi un livre qui est passé dans des mains enfantines pas toujours très soigneuses : ceux qui n’ont pas religieusement conservé leur exemplaire l’ont généralement mis en charpie avant d’atteindre l’âge adulte. Pour un exemplaire en excellent état, comme le mien, il faut généralement compter entre 85 et 150€. Les curieux et les budgets modestes préfèreront donc se rabattre sur une réimpression en fac-similé, plus ou moins officielle, des trois volumes complets, éditée en coffret en 2005, puis réimprimés séparément en 2012 et en 2016. Ces volumes peuvent parfois se trouver à un excellent prix, mais le tirage, certainement plus modeste que les éditions originales, avait, pour conséquence prévisible, la rareté inéluctable des exemplaires encore disponibles. Pour ceux que ces réimpressions intéressent, il vaudra mieux ne pas traîner trop longtemps avant de les acquérir. C’est en tout cas la preuve que ces ouvrages, pourtant assez ouvertement datés, continuent d’exercer la même fascination auprès de nouveaux lecteurs, plus d’un siècle après leur parution, alors même que les nombreuses rubriques qui s’en sont inspirées, au XXème siècle, ont totalement disparu des publications enfantines du XXIème siècle. Peut-être faut-il seulement voir, dans la nostalgie ouverte pour ce scientisme désuet, une sorte d’intronisation académique de la candeur scientifique au panthéon de la poésie française, à une époque où la science progresse toujours, mais ne fait plus guère rêver.

3 vues0 commentaire

Comments

Rated 0 out of 5 stars.
No ratings yet

Add a rating
Post: Blog2_Post
bottom of page